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[Du Poème et de la Métaphysique dont, ici,
il se veut le porte-parole ou, plutôt,
le porte-silence.
Y a-t-il grand sens à confier au Poème le soin de parler de la Métaphysique ? Et puis, au reste, peut-on parler de la Métaphysique ? Étymologiquement parlant, celle-ci, située « en dehors de la Physique » comment pouvons-nous l’atteindre ? Par des mots, des idées, des concepts, de l’intuition, de l’imagination ? Le problème est vaste, nous le percevons d’emblée. Cependant, nous prendrons ici « Métaphysique » au sens défini par l’existentialisme de « Recherche du sens, des fins de l'existence. » Ainsi, pourrait-on dire, cette notion prendra du « corps » et nous n’aurons plus guère à nous interroger afin de savoir si l’esprit est du corps subtil, si le corps est de l’esprit réifié. Comme toujours la « vérité » est le plus souvent à mi-chemin, nullement statique cependant, bien plutôt dynamique car le Sens est toujours relation, trajet d’un signifiant à un autre.
Ici, le signifiant est, sinon la Poésie, du moins le « poétiser » dont la forme verbale indique le motif mouvant, la mobilité continue du champ de la Métaphysique (cet inaccessible) en direction de cet accessible, la Physique, autrement dit la Nature en sa composante que j’ai souhaitée florale puisque c’est une Fleur qui la symbolise, en même temps qu’elle fait signe vers un indicible dont ses pétales de soie sont l’illustration la plus patente. Est-ce la pure fragrance de la fleur, ce vecteur si près d’une note de musique, d’une émotion esthétique qui autorise qu’il soit recouru à sa forme pour en faire la médiatrice de l’être au non-être ? Sans doute. Il y a bien des significations qui courent en filigrane sous le couvert des choses, dont nous supputons la réalité à défaut d’en appréhender la subtile texture. C’est toujours le recours à l’intuition qui nous permet d’en poser l’approche comme un possible.
Si la Métaphysique en sa définition la plus verticale est bien cet intervalle qui se creuse entre la Vie et la Mort, alors je crois que l’essence florale en son principe quintessentiel la désigne telle « l’absente de tous les bouquets », assertion mallarméenne au plus proche de ce que l’inconcevable peut surgir à la conscience au motif du Langage, cet autre nom de la Métaphysique. Nous ne sommes des êtres de Chair qu’à posséder le Verbe. Et ceci n’est nullement antinomique. Une Chair sans Verbe ne saurait être une Chair, simplement un égarement parmi la multitude des choses mondaines. Il ne pourrait y avoir, selon moi, d’autre vérité, autrement dit de moyen de croire que nous existons avec un peu plus d’insistance que la course du vent. Les mots ci-après se voudraient telle la mise en paroles de ce doute qui toujours nous assaille, nous tenaille et nous fait Hommes, Femmes, bien plus haut que nous ne pourrions jamais le penser. Merci à Celles et Ceux qui liront. Ils tiendront, à leur insu ou de manière consciente le « Langage de la Fleur ». Et ceci se nommera « pure beauté ».]
C’est ceci qui éclot dans mes rêves,
une fleur sort du gris
et vient nervurer le présent.
Mais y a-t-il un présent au moins,
Y a-t-il un Je qui puisse dire Je ?
Un Moi qui soit un Moi ?
Une Présence qui ne soit
Pure Absence ?
Partout, dans le vaste monde
Les hiatus, les hoquets
Les failles et les abîmes.
Rien n’est décidé
Qui serait définitif.
Tout passe et les yeux
Ont du mal à voir
Å distinguer le vrai du faux.
Alors je ferme les yeux.
Alors je teinte
Mon chiasma de suie.
Alors je flotte dans les
Coursives de ma cécité.
Il y a, tout au fond de moi
Comme un tohu-bohu
Originaire.
Le Noir habille les
Murs d’une grotte.
Le Noir rayonne
Et phagocyte
La moindre flamme
Éteint la velléité
De toute étincelle.
Le Noir dit l’absence
De toute chose
« l’Absente de tous les bouquets »
Mais y a-t-il
Au moins une Idée ?
Au moins un Sens
Qui nous soient donnés ?
Le Noir est le signe
D’avant la Parole.
Mais le Noir n’est
Nullement silence.
Il rugit du plus profond
De son mystère.
Le Noir est la forme même
De mon Inconscient.
En ses plis s’abrite
Plus d’un monstre
En ses nœuds
Plus d’une couleuvrine
Tendue sur un
Possible meurtre.
De qui ?
Du Jour.
De la Beauté.
Ceci est le plus tragique
Qui se puisse imaginer.
C’est ceci qui éclot dans mes rêves,
une fleur sort du gris
et vient nervurer le présent.
Mais y a-t-il un présent au moins,
Y a-t-il un Je qui puisse dire Je ?
Un Moi qui soit un Moi ?
Une Présence qui ne soit
Pure Absence ?
Dans les lianes
D’ombre se meut
Å la façon d’une pieuvre
L’Absence Majuscule
Souffle le froid à nul
Autre pareil du Néant.
Ô, la Vie serait-elle
Cette dentelle identique
Å un bitume ?
Les fils sont Noirs.
Les intervalles entre
Les fils sont Noirs.
Noir sur Noir ne dit rien :
Mille fois en ai-je tracé
De la plume
La cruelle vérité
Dans la pulpe de la feuille
Et la feuille pleurait
Des larmes de papier.
Pourquoi faut-il que
Nous les Hommes
Émergions à peine
De cette Nuit ?
Pourquoi ce chaudron
Et sa visqueuse poix ?
Nous vivons ou plutôt
Nous mourrons
D’y être englués.
Nous ne paraissons qu’au titre
De mouches prises au piège
Nous agitons faiblement nos ailes
Mais la colle du ruban est plus forte
Mais la Mort sourit et
Déjà, nous manduque.
Il ne demeure, ici et là
Que des fragments d’une vie
Une à peine palpitation
La roideur des pattes
Le buccinateur en proie
Å son dernier souffle
Au dernier mot articulé
Tout juste quelques
Lettres éparses qui
Jamais plus ne trouveront
Le lieu de leur exhalaison.
C’est ceci qui éclot dans mes rêves,
une fleur sort du gris
et vient nervurer le présent.
Mais y a-t-il un présent au moins,
Y a-t-il un Je qui puisse dire Je ?
Un Moi qui soit un Moi ?
Une Présence qui ne soit
Pure Absence ?
Mais qui est-elle cette fleur
Dont je ne reconnais ni la forme
Ni ne perçois l’odeur ?
Existe-t-elle au moins ?
L’ai-je déjà rencontrée ?
Dissimule-t-elle sous
Ses pétales de soie
Le visage aimable
D’une ancienne Amante ?
Ou plutôt, ne tracerait-elle
Les contours
D’une Veuve Noire ?
Ce venin qui s’amasse
Dans l’obscur et pourrait
M’atteindre en pleine face
Volonté purement arachnide
De me détruire, de me reconduire
Dans ce Rien dont je proviens
Dont je ne suis, visiblement
Que le faible, le pâle écho.
Mais, un seul Vivant
Sur Terre a-t-il déjà éprouvé
Dans le tissu ajouré de sa chair
- cette illusion -,
Le sentiment que
Quelque chose se passait
Qu’exister n'est seulement
L’invention d’un démiurge fou ?
A moins que ce soit Nous
-Tissages du Rien -
Dont la folle hubris
Nous aurait trompés
Au point de nous faire accroire
Qu’il y a des choses, des gens
Enfin une réalité palpable
Enfin des Êtres en quelque manière.
Non, voyez-vous,
Depuis ma réserve d’invisibilité
Je lance mon regard vers l’avant
Certes privé du fol espoir
Que ne s’inscrive dans son champ
Quelque représentation que ce soit.
Alors, imaginez ceci.
Les lianes de mon regard s’agitent
Pareilles à des fouets
Les longs flagelles de mes yeux sondent
Le soi-disant Univers avec insistance
Mais rien ne se donne
Qu’un confondant éther
Semé de Noir et les lianes de mes yeux
Je les ramène au centre
Du Vide que je suis
- Ou de qui je crois être -
Et de leurs filaments ne s’écoulent
Guère que des larmes de poussière
Témoins d’un temps absent
D’un espace ôté.
Car, pouvez-vous en faire l’épreuve
Il n’y a Rien que le Rien
Pas même Vous qui pourriez
Le regarder
Le donner comme réel.
C’est ceci qui éclot dans mes rêves,
une fleur sort du gris
et vient nervurer le présent.
Mais y a-t-il un présent au moins,
Y a-t-il un Je qui puisse dire Je ?
Un Moi qui soit un Moi ?
Une Présence qui ne soit
Pure Absence ?
Ce présent qui n’a guère
Plus de consistance
Que le souffle qui pourrait
Le porter au-devant du monde.
Ce monde sans Visage.
Ce monde sans Parole.
Ce monde sans Âme.
C’est ceci qui éclot dans mes rêves,
une fleur sort du gris
et vient nervurer le présent.