Un homme dans le
crépuscule... croquis
Œuvre : Barbara Kroll
***
On est là, dans
l’indistinction de soi,
on est là dans
le retirement de soi.
Aurait-on d’autre choix
que de s’absenter du monde,
de se dissimuler derrière
sa barrière de peau,
de se réfugier
au plein de sa chair,
de s’abreuver
à son propre sang,
de se confier à la résille
blanche de ses os ?
On est là,
mais où est-on vraiment,
ce lieu a-t-il un nom,
ce site une origine,
ce territoire une assise ?
On est là.
Mais où ?
Y a-t-il au moins
un LÅ ?
Y a-t-il au moins une grève
où allonger le parchemin
de son corps fourbu ?
Y a-t-il une crique
où cacher son désespoir ?
Y a-t-il une conque
où crier sa folie ?
On est là,
homme assis sur sa chaise,
pareil au condamné à trépas.
Mais qui donc pourrait
dire que l’on n’est pas
cet individu attendant,
dans le couloir de la Mort,
que sa dernière heure vienne,
que le Bourreau se présente
avec sa hache brillante,
que la lame se dispose
à moissonner cette
épiphanie si risible,
la nôtre, face au vertige
immense de la finitude ?
On est là, dans
l’indistinction de soi,
on est là dans
le retirement de soi.
Mais qui donc,
par quel décret du Destin,
mais qui donc,
un dieu de la Mythologie,
un Prophète à
l’invisible visage,
un Prédicateur fou,
un Surhomme
du haut de sa Puissance,
qui donc nous incite à exister
puisque dès notre berceau
nous sommes condamnés
à n’être que cette chair dolente,
cette plante portant en soi
le suc qui la détruira,
la rongera de l’intérieur ?
Vérité muriatique qui sape
ses fondements
à même sa question.
Qui donc ?
Y a-t-il, quelque part,
un Seigneur à la haute Parole
dont le Verbe nous porterait à l’être
à la seule hauteur de son souffle ?
Mais que cesse la comédie,
mais que quelqu’un de sensé
nous dise notre Mirage,
notre Illusion,
que quelqu’un de droit en sa vérité
nous dise l’immense bouffonnerie,
l’incroyable commedia dell’arte
au gré de laquelle nous ne sommes
que de pitoyables Polichinelle,
notre bosse nous condamne à n’être
que des Baladins,
des Saltimbanques
dupes du jeu même
qu’ils fomentent
à leur propre encontre,
auto-mutilation,
autodafé,
nous sommes des livres
que le feu consume
pour n’avoir pas su écrire
les phrases exactes du Poème,
nous en sommes restés
à des langues vernaculaires
qui se sont effondrées de l’intérieur
de notre inconsistance et nous avec.
On est là, dans
l’indistinction de soi,
on est là dans
le retirement de soi.
L’Homme-Mystère,
l’Homme-Scindé,
l’Homme-Fragment
nous le devinons
dans cette ombre
qui le confond
et le reconduit
dans les ténèbres
du Néant.
Voyez son peu de présence.
Voyez sa privation de Langage.
Voyez son corps de Mannequin,
on dirait le Spectre Métaphysique
tout droit venu des
« Muses inquiétantes »
d’un Giorgio de Chirico.
Simulacre,
simple Simulacre.
Il n’est venu à soi
qu’à s’effacer,
à renoncer à qui il est.
Modestie ?
Arrogance voilée ?
Renoncement à paraître ?
Rien, autour de lui,
ne profère
qui pourrait le sauver.
Les murs ont le gris,
la réserve du deuil.
Le tableau au mur
ne présente rien que
l’esquisse d’une angoisse.
La table est vide
que n’habite nul mets.
La vêture se teinte
d’une lourde mélancolie.
Le pantalon a la couleur livide
de qui a vu l’insoutenable.
En réalité,
n’est-ce l’Homme
qui ne parvient
à soutenir son effigie,
qui retourne au lieu même
de son Enigme ?
Est-ce ceci ?
On est là, dans
l’indistinction de soi,
on est là dans
le retirement de soi.