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5 juin 2022 7 05 /06 /juin /2022 17:06
Franchir le seuil de la pudeur

Peinture : Barbara Kroll

 ***

 

[Prélude – Sur le Poème et son visage.

 

   Le poème que vous allez lire ne sera, en toute hypothèse, que ce que vous en ferez vous-même. Peut-être ne l’entendrez vous nullement en tant que poème. Toujours il est difficile de définir un genre, de lui attribuer telle ou telle couleur. Je vous dis « poème », peut-être songerez-vous « prose » et nulle autre réalité au-delà. Il en est ainsi de bien des choses sur Terre, ce que nous déterminons en conscience, l’Autre n’a de cesse que d’en reformuler les termes, peut-être même de les inverser. Je dis « Jour », mon coreligionnaire dit « Nuit ». Or, en ceci chacun a raison au simple motif que le réel porte toujours l’empreinte de notre propre subjectivité dont le rôle éminent est d’être singulière, uniquement singulière.

   Å la lecture de ce qui suit, un problème ne manquera d’inévitablement surgir, celui du contenu du poème. Å l’évidence, ici, nous pouvons parler d’une « portée morale » du poème, de son inscription dans le vaste champ de l’éthique. Dès lors, un poème a-t-il pour « fonction » d’être une fable morale ? Ne sort-il de cette manière de l’ornière que des siècles d’écriture lui ont attribuée comme son visage le plus propre ? Alors quel doit être son propos : décrire la Nature selon une simple mimèsis ? Tracer le sillon où s’inscrira tout naturellement l’amour ? Installer le lieu d’une réminiscence ? Verser dans le bucolique ? S’aguerrir dans une manière de lutte sociale ?  Déployer le lit sur lequel se couchera le tragique ?

   L’on s’aperçoit, sans délai, que le problème est mal posé. Le poème n’a nul contenu particulier à exposer. Son propos est bien plus celui de la forme que du contenu. Je dis « poème » et je le soumets à quelques règles formelles : Repères visuels de plus ou moins grande longueur. Rimes ou vers libres.  Lettres capitales à l’initiale de chaque ligne. Disposition syntactique/sémantique jouant sur le plan du sens qui est inhérent au texte. Reprises anaphoriques telles des incantations. Rythme du récit qui, parfois, devient chant. Pour ma part, je crois que le rythme est la marque essentielle au gré duquel le dire poétique se détermine en priorité. Mais encore une fois, tout ceci est si imprégné de ressenti personnel que rien n’a lieu qu’une multitude d’interprétations selon chaque Lecteur, chaque Lectrice et ceci est heureux au titre d’une nécessaire liberté.

   Du temps de l’alexandrin les choses étaient bien plus nettes et définies, il y avait un code, des mesures, des pieds, des césures. Mais loin est le temps de l’alexandrin et la période dite « Moderne » a bien d’autres chats à fouetter que de produire, à la belle et étonnante manière de Victor Hugo, des alexandrins à la chaîne. L’un des caractères les plus affirmés de la langue c’est sa constante évolution, son éternelle métamorphose. Ce qui, aujourd’hui, paraît « follement contemporain » sera demain démodé et remisé dans les placards poussiéreux du passé. Lisant, que retenons-nous d’une écriture : sa forme, la subtilité d’une pensée, le thème qui s’y illustre, les thèses qui s’y développent ? Chacun selon ses goûts. Ce que, cependant, je crois c’est, qu’avant tout, toute entreprise d’écriture est travail sur le langage. Autrement dit langage sur le langage. Mais peut-être penserez-vous l’opposé. Ce poème, que peut-être vous vous apprêtez à lire semble délivrer quelque « leçon de morale » car il y est question de pudeur et de son contraire. Mais n’y voir que ceci est se fier simplement aux apparences. C’est l’image de l’Artiste qui, en premier a « mené le bal », le reste, les pas de deux sont venus à la suite, tels qu’ils sont et tels qu’ils devaient être. Place au poème.]

 

                      *

 

Franchir le seuil de la pudeur

Ceci venant de vous

M’habitait à la façon

D’une sombre rumeur

 

Ces mots que je vous prêtais

Mais est-ce vous qui aviez proféré ceci

Au sein même de votre continent de chair

Ou bien vous avais-je attribué mes ardentes paroles

Miroir de mon luxueux désir

De ma volupté toutes voiles dehors

C’est ainsi, il y a des jours de plénitude solaire

L’orage gronde au loin

Il y a des jours de subtile efflorescence

De généreuse turgescence

Une manière de charivari à la pliure du corps

On ne se connaît plus soi-même

Qu’à l’aune de ce rougeoiement

De cette source intérieure

Pressée de connaître son destin

D’en tracer l’arche éblouissante

 

Franchir le seuil de la pudeur

Ceci venant de vous

M’habitait à la façon

D’une sombre rumeur

 

Cette formule résonnait en moi identique à une antienne

Qui n’aurait su avoir de fin et n’avait de cesse

D’occuper mon esprit du levant au couchant

C’était une seconde nature

C’était l’ongle qui recouvrait la chair

C’était la chair que tutoyait l’ongle

Si bien que je ne savais plus qui était qui

Si mon caprice résultait de vous

Si je n’étais le jouet que vous agitiez devant vous

Å la manière d’un hochet

Me réduisant à l’état d’objet, non sexuel

Celui-ci m’aurait fortement agréé

Non plutôt de simple ustensile

Commis aux usages les plus ordinaires

 

Franchir le seuil de la pudeur

Ceci venant de vous

M’habitait à la façon

D’une sombre rumeur

 

Saisissez-vous au moins le trouble dans lequel

Votre belle image me précipite

Je ne sais si j’aurai jamais la force d’en ressortir

Le magnétisme que vous exercez sur moi est si fort

Et je crois être aliéné, attaché à votre être par

Toutes les fibres de mon corps

Comment pourrais-je sortir de cette condition

Briser les chaînes de l’aporie

Que vous avez tressées autour de moi

Peut-être à votre insu

Mais elles n’en sont pas moins réelles

Incontournables en un certain sens

Dont je ne m’exonèrerais qu’au risque de qui je suis

Une étrange figure Erratique sans feu ni lieu

 

Franchir le seuil de la pudeur

Ceci venant de vous

M’habitait à la façon

D’une sombre rumeur

 

En moi, au plus secret,

Je ressasse cette étrange et fascinante formule

Franchir le seuil mais que veut signifier ceci

Ne franchissons-nous, depuis l’aube de

Notre naissance une foule infinie de seuils

D’abord nous naissons, ensuite nous sommes enfant, puis adolescent

Puis dans la maturité de l’âge, puis dans la vieillesse, puis dans la mort

Toujours des seuils suivent des seuils que nous franchissons

Et ceci se nomme « exister », donc sortir du Néant

La pudeur : « propension à se retenir de montrer »

Voici la définition canonique

Eh bien, voyez-vous, ce qui est étonnant à plus d’un titre

Précisément l’oxymore qui met en contact

Le « se retenir » et le « se montrer »

Car vous êtes à la jointure des deux

Comme tiraillée entre votre attrait de vous donner en spectacle

Et votre réserve car vous me semblez un être

Facilement effarouché, en arrière de soi,

Souhaitant la vive lumière du Jour alors que

La Nuit vous habite de toute sa farouche beauté

En réalité nul franchissement n’a eu lieu

En réalité nulle pudeur qui vous clouerait à demeure

Non en réalité vous êtes une Habitante du Seuil

Une Sédentaire qui regarde au loin mais séjournez en vous

Certes, sans doute eussiez-vous aimé

Afficher une tranquille impudeur

Vous livrer nue, sans défense au Quidam de passage

N’en tirer nulle honte mais une légitime fierté

L’impudeur toujours revendique quelque orgueil

Et il faut avoir beaucoup de courage sinon d’inconscience

Pour livrer la fleur de sa chair

Comme on donne l’obole au Démuni

Sans doute plus d’Un qui vous observerait

Vous désignerait en tant que Vénale

Intéressée à l’échange bien plus

Qu’y participant avec sincérité

Å moins que vous ne cumuliez les deux

Le plaisir et la valeur

« Il y a loin de la coupe aux lèvres »

Et votre attitude n’est peut-être que de façade

Å défaut de vous « posséder »

(Mais « possède-t-on » jamais quelqu’un, à commencer par soi ?)

Je prendrai plaisir à vous décrire telle qu’en vous-même

Vous semblez dresser votre exacte esquisse

Mais savez-vous au moins qui vous êtes

Quelle trajectoire vous empruntez

Le dessin que vous tracerez à la face du monde

Loin d’être affranchi votre visage, fût-il tanné par le soleil

Reflète une peur, une inquiétude bien réelles

On ne jette pas si facilement son corps en pâture

Le corps refuse, le corps regimbe, se révolte et demande paix et repos

Vos yeux sont le reflet de ce trouble immense

Votre air effarouché en témoigne

On ne sort si facilement des rets de sa condition

On ne proclame nulle liberté

Laquelle eût demandé un long temps de maturation

Laquelle se fût vêtue d’une éthique à sa juste mesure

Bleus vos cheveux, bleue votre bouche comme si elle

Portait les traces d’une cigüe dont le Destin vous aurait fait l’offrande

Et vos épaules, ne sont-elles tombantes

Å la hauteur du châtiment que vous vous êtes imposé à vous-même

Le corps est tout sauf une marchandise sur un étal

La chair est tout sauf une simple contingence à offrir aux regards

Combien la chute de votre poitrine dit votre affliction

Vous êtes, à la fois, dans la force de l’âge et dans son déclin

Cruelle est la temporalité qui vous fige

Dans cette cire pareille à celle des Effigies du Musée Grévin

Vos bras sont croisés à la hauteur de votre ombilic

Mais ce dont ils défendent l’accès se trouve infirmé

Par cette jupe si courte, elle dévoile presque votre sexe

Elle lance un appel, mais de quelle sorte :

De pure joie, de verticale détresse

Tout mon discours, depuis que je procède à votre inventaire

Fait signe en direction d’une stupeur qui semble vous avoir frappée

Et proclamerait votre fin prochaine

Que rien ne m’étonnerait qu’il en soit ainsi

 

Franchir le seuil de la pudeur

Ceci venant de vous

M’habitait à la façon

D’une sombre rumeur

 

Mon poème commence dans le genre d’une jouissance

Retenue avec peine sur la margelle de mon propre corps

Mon poème commence, pareil à la flamme du désir

Et s’achève sur cette note tragique qui est le lot de notre mortelle nature

Je crois qu’un instant, échappant à la surveillance de votre libre arbitre

Votre corps « n’en avait fait qu’à sa tête », si je puis dire

Frôlant de bien ombreux territoires

Votre corps meurtri, en proie aux Prédateurs de toutes sortes

Qui rôdent alentour et n’attendent que de vous désigner comme leur proie

Vous exhibant ainsi dans cette posture mi-provocante, mi-réservée

Vous n’avez été, ni celle que vous êtes

Ni celle que vous auriez aimé être selon la fantaisie de vos fantasmes

Comment ressortirez-vous de ceci

Comment inverserez-vous l’irrationnel pour en revenir au rationnel

Vous seule le savez car chacun connaît les voies secrètes

Selon lesquelles coïncider avec son être :

Être Homme, être Femme et rien au-delà qui pourrait en altérer la qualité

Tous nous avons à être selon notre Vérité

Tout choix adventice est déjà cheminement dans les ornières

Tout Destin se sait comme celui qu’il a à être

 

Franchir le seuil de la pudeur

Ceci venant de vous

M’habitait à la façon

D’une sombre rumeur

 

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4 juin 2022 6 04 /06 /juin /2022 14:37
Telle une jarre antique

                                                                   Peinture : Barbara Kroll

 

                ***

 

Telle une jarre antique

De vous je ne savais le réel

Je ne savais la tumultueuse présence

 

Voyez-vous, parfois au sortir d’une nuit d’étoupe

L’esprit est à la peine, le corps lourd

L’âme désaccordée, le sentiment de cendre

La mémoire perdue dans l’innommable

On regarde le jour et c’est la nuit qui se présente

On regarde la possible joie et c’est le chagrin

On regarde son visage dans le miroir

Et c’est le tain piqué qui vous fait face

Face blême de Pierrot triste

En quête d’une improbable Colombine

 

Hier le temps était lourd

Hier c’était le plomb

Et le ciel avait des teintes confuses

Des humeurs sibyllines

Des pliures d’orage

Des goûts amers

Des lignes flexueuses

Des angles étroits

Des fragrances d’arsenic

 

Telle une jarre antique

De vous je ne savais le réel

Je ne savais la tumultueuse présence

 

Depuis l’aube et jusqu’au crépuscule

J’avais prié la pluie, espéré le déluge

Souhaité que l’inouï se réalisât

Qu’un mystère se dissipât

Qu’advînt ce qui, depuis toujours

Me mettait à la peine

Un miracle, peut-être

La joie d’une sublime Poésie

La venue des dieux lointains

Une subite révélation

La plongée au cœur

De qui-je-suis dont je ne puis

Cerner l’illisible esquisse

Mais se possède-t-on jamais

(Belle illusion !)

Mais se connaît-on jamais

(Poudre aux yeux !)

Mais trace-ton jamais ses propres contours

(Étrange utopie !)

 

Sachez-le, vous qui êtes encore une énigme

Je suis Œdipe aux yeux lacérés et j’erre sans fin

Dans les rues de Colone en quête de qui j’ai été

Peut-être ne le saurai-je jamais

N’est-on à soi-même le plus étranger

Celui qu’on croit tenir et qui toujours fuit au-devant de soi

Comme si, se connaître, était le danger le plus grand

La question la plus saugrenue qui se présentât à l’esprit

Alors on finit par renoncer à soi

On saute à la mer, on nage vigoureusement

On frôle des archipels, on espère des mérites

On implore des vertus, on hallucine des trésors

 

Telle une jarre antique

De vous je ne savais le réel

Je ne savais la tumultueuse présence

 

Et, soudain, alors que le désespoir

Faisait son bruit de bourdon

Que le tocsin s’annonçait comme seul signe d’une vie

Å hisser au sommet du mât de Cocagne

Voici que, surgie de votre île,

Vous vous manifestez à mes yeux

Les faites de diamant et de rubis

Des larmes de résine inondent mes joues

Et ce qui, depuis longtemps, m’avait déserté

Une félicité logée au creux de mon abîme

Là voilà pareille à un baume

Identique à une ambroisie coulant à mon palais

La voilà cette onction venue des dieux

Elle pose à mon front les lianes de l’espoir

 

Vous dire telle que vous êtes

C’est, en quelque façon, me dire

Le Dérobé que je suis à mes propres yeux

L’Errant naviguant alentour de son propre corps

Le Mendiant tendant aux Passants ma sébile vide

Demandant l’obole qui me sauvera

Me dira à nouveau que je suis Homme parmi les Hommes

Qu’un don pourra m’être fait porteur d’un sens infini

 

Vous dire et porter mon égarement

Å la pointe du jour, dans l’éblouissement blanc de la lumière

 

Telle une jarre antique

De vous je ne savais le réel

Je ne savais la tumultueuse présence

 

Telle une Déesse sortie de l’onde,

Telle Vénus à la plurielle splendeur

Vous demeurez sur un siège bleu de ciel

Il est le Bienheureux, celui qui porte votre Royauté

Et ne saurait se lasser d’un tel mérite

Comme d’une conque vous en émergez

Avec toute la grâce qui sied à votre rang

Seriez-vous Intouchable par hasard

Des yeux oseraient-ils se poser sur Vous

Effleure votre corps, ce fruit fécond

Cette haute Corne d’Abondance

Qui s’y abreuverait serait pour l’éternité

L’Esclave libre de soi

 

Vous servir est plaisir, nullement douleur

 

Votre bras relevé, votre visage inscrit dans sa courbe

Le jais de vos cheveux, cette fontaine magique

Tout ceci dessine le beau profil d’une jarre

Antique cela va de soi

Je pense à ce pithos venu de la lointaine Crète

Il porte en lui les signes de la pure beauté

Il porte en lui les traces de ce vin capiteux

Qui rendait les Mortels fous et les dispensait,

Un instant, de penser au terme de leur existence

Le divin Diogène de Sinope n’y a-t-il trouvé refuge

Lui le laudateur d’une vie simple et immédiate

 

Vos yeux, ces pierreries fascinantes

Des émeraudes

Des lapis-lazuli

Des aigues-marines

Vos yeux sont discrètement clos

Sur quels rêves s’abîment-ils

Sur quel chimérique projet achoppent-ils

Quel monde cachent-ils à mes yeux

Dont jamais le secret ne pourra être révélé

 

Telle une jarre antique

De vous je ne savais le réel

Je ne savais la tumultueuse présence

 

Votre poitrine est menue

Pareille à deux grains de Corinthe à la brune aréole

Vous la dissimulez derrière l’un de vos bras

Comme pour la rendre plus désirable

Et vos jambes, ces lianes infinies

Ces effusions dont je voudrais qu’elles pussent m’emprisonner

Me ligoter, faire de moi l’un de vos empressés Serviteur

Vos jambes sont de pures venues dans l’écrin du monde

L’une d’elle repliée, l’autre relevée

Dans l’intervalle se laisse apercevoir l’amande de votre sexe

Quelqu’un en a-t-il éprouvé la douceur, en a -t-il goûté le suc amer

Et alors la folie l’a visité pour le reste de ses jours

Il n’est jusqu’à la courbure de vos pieds qui ne soit pur prodige

Me croyez-vous dans l’excès

Me croyez-vous dans le pur délire

Vous ayant simplement hallucinée

S’il en était ainsi vous seriez absente à jamais

Et mon âme pleurerait jusqu’à connaître sa fin

Oui, à connaître sa fin

 

Telle une jarre antique

De vous je ne savais le réel

Je ne savais la tumultueuse présence

 

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3 juin 2022 5 03 /06 /juin /2022 10:03
Posée sur sa main

Image : Léa Ciari

 

***

 

Posée sur sa main,

 

Elle demeure

En-deçà de Soi

Dans un territoire

Encore innommé

Est-elle née à ce monde

Ou bien l’hallucine-telle

Retirée qu’elle est

Dns le pli du secret 

C’est à peine

Une onde légère

C’est à peine

 Un ris de vent

A la face du lac

C’est tout juste

Un murmure

A l’orée des choses

 

Telle nous la voyons

 Telle nous l’aimons

Comme on aime

La fleur au pré

Le nuage au ciel

Le sable doux

Au rivage

 

Alanguie sur sa main,

 

Vient-elle jusqu’à nous

Nous aperçoit-elle au moins 

Nous comptons si peu

Dans l’heure qui court

Qui fuit au loin

Nulle souvenance de nous

En cette course folle

Un temps a passé

Un autre viendra

Qui nous laissera assoiffé

Au rivage du fleuve

 

Rêveuse sur sa main

 

Quel est le motif du songe

Une tâche à accomplir

Une Amie à rencontrer

Une lecture à poursuivre

Elle, l’Innommée

Est à la mi-nuit

D’elle-même

En l’ombre recueillie

Comme pour un étrange rituel

Une communion avec Soi

Le seul endroit lisible

Parmi les fabulations

De petite destinée

 

Il y a tant de secret

Tant de mystère

Et tout se mêle

Dans l’eau si fine

D’une brume

On est Soi

Là, à la lisière

De ce qui pourrait être

Mais jamais ne s’annonce

Un songe se lève et meurt

De son propre néant

 

Le visage est une jarre lisse

Un discret céladon à l’abri

Sa clarté vient à nous

Nous effleure et repart

Sans même avoir montré

La faveur de son être

 

Gauche, gauche

 Est la face

De lumière et de

Vive inquiétude

Le front est un marbre

L’œil une présence-absence

Le nez une tige frêle

L’air une fragrance infinie

La joue un signe éteint

 

Les doigts un flambeau

Il féconde la Nuit

De son éventail de résine

Nul index ne pointe

Pour nous dire

Pour lui dire

Le chemin

Å accomplir

 

Droite, droite

Est la face

En son ténébreux silence

Elle s’adoube au Rien

Et se soustrait à la vue

Ici est le domaine

De l’invisible présence

Ici est le domaine

Des pensées libres

Ici est le domaine

Des résurgences

Peut-être d’amours anciennes

Peut-être d’œuvres laissées

Au bord du chemin

Peut-être de paysages

De haute lumière

 

Nul ne sait ce

Qui, ici, fait sens

Quel langage

 En prédit la venue

Quel pinceau

En tracera l’esquisse

Quel graphite

En grisera le nom

Ô nom d’impossible venue

Tu nous laisses

Éparpillé en nous

Hagard, portrait blême

Ame errante

Au bord du vide

 

Mais pourquoi

Cette aphasie

Nos lèvres

Sont muettes

Mais pourquoi

Cette cécité

Nos yeux

 Sont plombés

Mais pourquoi

Cette hémiplégie

Notre corps est

Scindé en deux

Qui cherche

 L’autre moitié

Celle qui nous

Conduirait

 

Å l’Unité

 

Posée sur sa main

Alanguie sur sa main

Rêveuse sur sa main

 

Elle est notre

Part irrésolue

Celle par qui nous

Aurions pu exister

Mais vertical

 Est le Destin

Qui nous prive

D’une part de nous

Nous prive

D’une part d’Elle

D’ELLE qui sera

 Son seul Nom

Pour l’infini

Du Temps

 

Pour l’Infini

 

Du Temps

 

Posée sur sa main

Alanguie sur sa main

Rêveuse sur sa main

 

 

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26 mai 2022 4 26 /05 /mai /2022 09:24
L’épanchement du songe

Peinture : Barbara Kroll

 

***

 

« Ici a commencé pour moi ce que j'appellerais

l'épanchement du songe dans la vie réelle. »

 

« Aurélia » - Gérard de Nerval

 

*

 

[Avant-Propos – Cette longue poésie se donne en tant que poésie « métaphysique » et c’est sans doute pour cette raison qu’une inévitable distance se crée entre le Lecteur, la Lectrice et le texte. Est-ce le lieu et la mission de la poésie que de poser, d’interroger les postures existentielles ? Existe-t-il vraiment une nature de l’acte poétique selon laquelle il serait conforme à son être ? La poésie doit-elle être pur amour, fête de la mémoire, lieu de la réminiscence, avant-garde de l’écriture, site où se déploie la pensée, question de la question ? Tant que nous demeurerons dans le champ de l’interrogation concernant la modalité de sa parution relative à tel ou tel genre, nous n’aborderons la poésie que sous l’angle de sa périphérie, non en son essence réelle.

   Si la poésie a quelque mérite c’est bien sous le visage d’un travail sur le langage, autrement dit d’un style. Et, ici, ce qui doit se laisser découvrir, c’est que l’appel à la métaphysique, donc à l’étonnement qui en constitue le fondement, donc à la philosophie qui en est le synonyme, constitue en soi la forme dont le poème est conduit. Ceci est son sens premier, sur lequel se dépose un sens second, lequel est compréhension de la parole. C’est bien à la jonction de ces deux sens que le poème est poème. Il dit en mode spéculatif ce qui est à entendre sous toute énonciation : la place que nous occupons dans l’univers, la question que nous lui destinons et qu’il nous destine en retour. Toujours, en relation avec notre essence humaine, nous sommes à la croisée des chemins. Le questionnement est notre dimension la plus proche, la plus essentielle qui soit pour tâcher de nous y retrouver avec qui nous sommes et tels que nous devenons.]

 

*

 

Vous, La Bleue, pouvais-je vous regarder

plus qu’une seconde et retourner

en moi l’âme libre, le cœur apaisé ?

Non seulement je ne le pouvais,

mais souhaitais ardemment demeurer

auprès de vous, au plus près, me fondre en vous

si, du moins, une telle chose eût été possible.

Ne me dites l’impossible, car c’est lui que je veux,

car mon être ne tient qu’à la rencontre de vous,

la connaissance de vous, l’exploration de vous.

 Oui, je sais, tout ceci est si malhabilement formulé,

 plutôt un balbutiement de gamin

devant l’immense du jour,

 l’abîme de l’exister.

 Mais ai-je d’autre choix que d’être

moi-hors-de-moi en vous-même épanché ?

Vous me dites, aussitôt, la formule nervalienne

que je vous destine à la manière d’un fruit empoisonné.

Si, vous La Bleue, appelez cet Épanchement,

c’est que vous êtes la correspondante de ma Folie,

celle qui la reçoit et, en retour, me la destine à nouveau.

Car, vous le savez, je-suis-le-Songe.

Car vous le savez, vous-êtes-le-Réel.

C’est pour cette raison que mon esprit,

en vous, s’écoule,

en vous se manifeste,

en vous s’aliène

pour n’en jamais ressortir.

 

 Voyez-vous, vous en êtes bien informée,

la Folie n’est jamais que ce

visage de Janus à double face,

d’un côté le Songe, Moi si vous préférez,

de l’autre, Vous, le Réel en sa bleue carnation.

Pouvez-vous cependant demeurer sur votre face,

 être le Réel et vous y cantonner ?

Puis-je, cependant demeurer sur ma face,

être le Songe et y camper pour l’éternité ?

Certes ma formulation doit vous paraître bien étrange

et ces deux faces que j’invoque, si abstraites

que nul reflet ne parvient à votre conscience,

qu’une manière de lumière éteinte, glauque,

pareille à celle qui nappe de bleu-vert

le fond mystérieux des aquariums.

 

Oui, je sais, vous vous croyez

hors d’atteinte de mon Songe

qui est aussi ma Folie.

Oui, je sais, je me crois

hors d’atteinte du Réel

qui est votre certitude,

la pierre angulaire sur laquelle

vous vous êtes construite.

Vous vous croyez si éloignée du régime Onirique,

 je veux dire celui qui se lève de l’herbe des nuits

et lance ses lianes invasives

 sur cette pierre, cet arbre, ce ciel,

mais aussi, mais surtout,

 tresse autour de votre corps

les barreaux de fer de votre geôle.

 

Mais je vais vous aider à comprendre

en quoi les choses ne sont nullement isolées,

en quoi la vie est un système de vases communicants,

de vases fonctionnant selon le Principe de l’Épanchement.

 J’ai pris soin d’écrire le beau mot d’Épanchement

avec une majuscule à l’initiale.

Oui, car il est l’opérateur de toute relation,

c’est lui dont le flux relie le Songe, ma Folie,

 et le Réel votre Raison.

Toutefois, voyez-vous, il n’y a

nulle rupture entre les choses,

nulle césure qui intimerait à l’Homme

 de se situer Ici, bien plutôt que Là.

 

Qui pourrait, et de quel droit, déterminer en quoi

que ce soit l’Essence qui vous habitera :

l’Essence de la Folie et les Rêves

gireraient tout autour de vous, en vous

ou bien l’Essence du Réel et la Matière sûre

et palpable ornerait la cimaise de votre corps ?

Non, les choses ne sont pas si simples

et vous n’ignorez nullement que les catégories,

les divisions de tout ce qui vient à nous

sont une simple « Ruse de la Raison »,

un peu de poudre de perlimpinpin,

une pincée d’achillée mille-feuilles, astuces

qui n’ont pour but que de vous égarer, de vous faire

« prendre des vessies pour des lanternes ».

 

Sans doute, avez-vous maintes fois

éprouvé l’expérience de l’illusion.

Ce, qu’au loin, vous preniez

pour une forme humaine,

n’était en réalité qu’un spectre,

 un arbre ou bien une haie,

que le brouillard nimbait

et métamorphosait

 à vos yeux crédules.

Ainsi l’Arbre-Vérité

était l’équivalent

de l’Homme-Mensonge.

Apercevez-vous, La Bleue,

combien le fil est ténu qui sépare

une vision nette d’une vision erronée,

la Vérité de l’Erreur,

la Réalité du Songe ?

 

Toujours, vous avancez, nous avançons

sur cette mince ligne de crête qui,

 tantôt se donne sous la Lumière de l’Adret,

tantôt sous l’Ombre de l’Ubac.

Oui, vous tressaillez,

oui, vous frémissez

et ce Bleu qui se décolore,

passe par toutes ses intimes nuances,

teinte qui décroît s’altère successivement

 

BARBEAU 

COERULEUM 

CIEL 

DENIM

 ÉLECTRIQUE 

DE FRANCE

 

pour s’abîmer dans

la TURQUOISE

laquelle cède déjà au VERT

ce qui constituait sa nature,

sa forme première dont on pensait

 qu’elle était fixe pour l’éternité.

Alors, La BLEUE,

quand êtes-vous la plus Réelle,

quand êtes-vous le plus dans votre Vérité,

quand êtes vous en vous sans débord,

sans compromission ?

Et cette teinte TURQUOISE

que vous arborez si fièrement,

n’est-ce déjà du SONGE, donc de la FOLIE

qui sinue parmi le lacis de votre cortex,

y allume ses feux de Bengale,

y tire ses salves de joyeux artifices

alors que vos bras et vos jambes sont pris

d’une épileptique dans se Saint-Guy ?

N’est-ce ceci que vous vous êtes

toujours refusée à admette,

sous la férule du souverain Principe de Raison ?

 Il vous encageait, il soumettait votre esprit

aux vertus muriatiques d’une sacro-sainte Vérité

dont il ne vous fût jamais venu à l’esprit

de le remettre en question,

 d’instiller en son derme

ce que vous considériez

tel le poison du doute.

 

Je pense, certainement à raison,

que vous vous considérez

en-deçà de l’Épanchement,

bien au chaud dans votre cocon douillet,

sorte de monade close qui vous met à l’abri

de bien des soucis, de bien des embarras.

 Je pense, certainement à raison,

que vous me situez

au-delà de l’Épanchement,

 plongé au sein de mon arbustive Folie.

Mais, postuler l’Essence de l’Autre

est toujours un risque, au simple motif

que nous aurions bien de la peine

à tracer les contours de la nôtre.

Mais ici, il faut sortir du discours rationnel,

du logos qui nous ligotent et nous imposent

des schémas de pensée sur-mesure,

il faut recourir à la métaphore,

seule capable de lever le voile

qui obture nos yeux,

contraint notre pensée,

obère nos jugements.

 

Vous, La BLEUE, imaginez ceci :

si vous le voulez bien,

nous allons nous livrer

 à un petit examen numismatique.

Prenons une pièce de monnaie.

Vous êtes le Revers ou Pile,

ce côté qui porte la valeur numérique,

laquelle peut recevoir des prédicats précis,

se situer dans une hiérarchie,

occuper une position exacte,

ceci déterminant les qualités

essentielles de la Raison.

 

Je suis l’Avers ou Face, ce côté

qui porte l’épiphanie d’un visage,

visage qui, selon les fantaisies de la Nature,

peut se donner de telle ou

de telle manière indéterminée,

aussi bien l’image du Souverain en sa majesté,

aussi bien celle du Fou d’Érasme faisant

s’agiter son bonnet à clochettes.

Situons-là, cette face, du côté du Songe et de la Folie.

Et, me direz-vous, que faites-vous, métaphoriquement,

de ce fin liseré de la Carnèle qui sépare

 la pièce de monnaie en deux versants distincts ?

Eh bien, ce liseré qui porte la « légende »

 n'est rien moins que l’Épanchement

du Revers dans l’Avers

et, symétriquement,

de l’Avers dans le Revers.

Autrement dit l’effusion, l’expansion

d’un régime dans l’autre :

 La Folie dans le Réel,

le Réel dans la Folie.

 

Si la Carnèle porte la Légende,

 les mérites d’un Roi, par exemple,

cette Carnèle est avant tout

Langage, médiation, relation.

Or il me plaît et me convient

de dire, La BLEUE,

que le Langage témoigne du Rêve,

révèle le Songe, manifeste l’Imaginaire,

ce dernier si près de la « Folle du logis »,

que le Langage se fraie un chemin et,

sous la pression de la Norme sociale,

se canalise, se discipline,

sa figure ne portant plus trace de son origine.

De torrent impétueux qu’il était,

l’Orage du Dieu en quelque façon,

l’Éclair du Tonnant,

il devient cette simple docilité,

ce murmure inaperçu, ce silex poli

qui ploie sous les fourches caudines de la Raison.

 

Seul le Poème en sa haute venue

 témoigne encore de ce Feu qui l’habite,

de cette Foudre dont il provient dont il ne demeure,

la plupart du temps, qu’un mince filet d’eau,

une prose pas plus haute

que le brin d’herbe dans la prairie.

 

La BLEUE,

que vienne donc la Folie,

que Tonne le Poème,

qu’Éclaire le Vers,

nous avons tellement besoin de Clarté

 en ce siècle si éloigné de celui des LUMIÈRES.

Si éloigné. N’en demeure qu’une étincelle

sous la cendre. Oui, sous la cendre !

La Folie appelle le Réel.

 Le Réel appelle la Folie.

Sortirons-nous jamais

de ce balancement

pareil à celui du nycthémère :

 le Jour, la Nuit, le Jour, la Nuit ?

 Est-ce possible ?

Est-ce seulement souhaitable ?

 Est-ce envisageable sous le sceau de l’humain.

Toujours le SENS est donné par ce rythme

 du mouvement d’un mot à l’autre,

d’une chose à l’autre.

Nul sens qui soit inerte, immuable.

Toujours un point qui se

déplace dans l’Univers

et ne trouve jamais son repos.

 

Où la Vérité ? Où le Réel ?

 

Où le Songe ? Où la Folie ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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23 mai 2022 1 23 /05 /mai /2022 09:42
Que serais-je ?

"ma maitresse d'école..."

Image : André Maynet

 

***

 

Que serais-je sans toi,

cette éternelle absence ?

 

Ton corps était Poésie.

Ta chair était Ambroisie.

Ton esprit était Féerie.

 

Tout enfant déjà,

assis sagement sur

les bancs de l’École,

je te nommais en silence,

dans le recueil du jour,

Ma Déesse

Ma Maîtresse.

Tu ne le savais point,

 le devinais seulement,

mes yeux étaient des braises

au seuil d’un temps natif.

Ta voix, je l’aimais tout

comme on aime

 une berceuse.

Tes gestes, je les aimais

 tout comme on aime

 le chèvrefeuille,

ses odeurs intimes.

 

Que serais-je sans toi,

cette éternelle absence ?

 

Ton corps était Poésie.

Ta chair était Ambroisie.

Ton esprit était Féerie.

 

Tout adolescent, déjà,

installé dans le

derme de l’exister,

je te priais comme

on prie le Ciel de nous

prodiguer ses faveurs.

Je te nommais, dans

 le trouble de mon âge,

Ma Prêtresse

Ma Diablesse.

Tu ne l’entendais pas,

l’imaginais seulement.

Mon cœur était une glaise

au seuil d’un temps festif.

Ta voix, je l’aimais,

 tout comme on aime

un miel,

sa subtile douceur.

Tes gestes, je les aimais

tout comme on aime

le nuage au ciel,

trace si légère.

 

Que serais-je sans toi,

cette éternelle absence ?

 

Ton corps était Poésie.

Ta chair était Ambroisie.

Ton esprit était Féerie.

 

Tout adulte, déjà, hissé

au plus visible de l’âge,

je t’invoquais comme

on invoque la Terre

 pour y trouver

quelque repos.

Je te nommais,

dans la haute lumière,

Ma Druidesse

Ma Prophétesse.

Tu ne l’entendais pas,

le supputais seulement,

mon âme était une cimaise

au seuil d’un temps fugitif.

Ta voix, je l’aimais,

tout comme on aime

 une friandise,

sa délicate saveur.

Tes gestes, je les aimais,

tout comme on aime

le ruisseau dans l’ombre,

murmure discret.

 

Que serais-je sans toi,

cette éternelle absence ?

 

Ton corps était Poésie.

Ta chair était Ambroisie.

Ton esprit était Féerie.

 

Âgé, maintenant,

parvenu au

déclin de l’âge,

que me reste-t-il,

Ma Princesse

Mon Enchanteresse,

que ta voix se perdant

dans les coulisses du temps,

que tes gestes armoriant

un amour qui fut grand

de n’être pas connu de Toi,

qui fut brûlant d’être

connu de moi.

De moi avec

 pour horizon,

seulement

 

L’errance,

Oui l’errance.

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20 mai 2022 5 20 /05 /mai /2022 09:57
JUSTE…

Vers Leucate…

entre sel et vent…

Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

[Incise – La Poésie a-t-elle un visage particulier ? Doit-elle être bucolique, lyrique, tragique ou bien joyeuse ? Existe-t-il quelque prédicat qui puisse, d’une manière exacte, en définir les contours, en tracer le site singulier ? Non, je ne crois pas qu’il faille circonscrire la Poésie à un genre, à un thème, il fait la laisser libre d’aller à sa guise, là où elle veut, au simple motif que le Langage est premier, que l’Écriveur ne dit qu’à sa suite. Ce qui, d’une manière évidente, selon moi, dicte les mots du poème, ce sont les affinités qui sont les nôtres, déterminent notre « ton fondamental » dont nos créations constituent nos harmoniques.

   Si, agissant en quelque domaine, nous nous éprouvons en tant que libres, il n’est d’autre voie, dans le sillon de l’écriture, que de suivre nos intimes inclinations. Voudrions-nous en sortir et, aussitôt, le texte sonnerait faux, les phrases claudiqueraient. Nous ne pouvons écrire qu’en vérité et chaque Lecteur, chaque Lectrice se donne comme le juge de paix qui dénicherait bien vite nos falsifications.

   Pour ceux et celles qui sont accoutumés à ma prose, il ne vous aura nullement échappé que ma pente naturelle m’entraîne, corps consentant cependant, dans la direction d’un dire orphique, autrement dit du simple témoignage de la perte dont Eurydice est l’incontournable parangon. Il s’agit donc d’une posture existentielle bien plus adoubée au tragique qu’à son contraire. Oui, car chaque mot gravé sur la feuille blanche est, en tout état de cause, perdu. Jamais l’on ne le retrouvera tel qu’en lui-même dans une énonciation qui a été singulière au motif de sa temporalité.

   Je pense que tout acte de création est acte de deuil et, comme après l’amour, l’amant est triste qui médite sur la belle assertion de Gallien de Pergame : « Omne animal triste post coïtum. »  Qui vient de lire un poème et n’éprouve ce genre de longue mélancolie peut être persuadé d’avoir lu une simple prose. Lecteurs, Lectrices, mon vœu le plus cher, après que vous aurez lu les mots qui suivent : que vos yeux soient humides et votre cœur batte la chamade. S’il n'en est nullement ainsi, je devrai faire pénitence, sinon abstinence. Merci de m’avoir accompagné jusqu’ici.]

 

*

 

JUSTE une île de fraîcheur

dans le tumulte du Monde.

Un arbre gris torturé,

un ilot de fleurs blanches.

C’est ce que l’on voudrait depuis

le plus profond du rêve.

 

La nuit, encore,

est partout étendue.

On entend bruire le noir,

on entend les poitrines

qui sont à la peine dans la

lourdeur des chambres.

Cela fait un bruit de forge

qui est bruit de l’Amour

luttant contre la Mort.

La chaleur a cloué sur

place tout essai d’exister.

 Sur les montagnes blanches

des salines, le Soleil

darde, tout le jour, sa

cyclopéenne blancheur.

On vêt ses yeux de

lourdes vitres noires,

on longe la falaise

 des murs,

on cherche l’ombre,

on se cherche Soi,

comme si l’on craignait

 de s’éparpiller,

de disparaître dans

 la rutilante fournaise.

 

JUSTE une île de fraîcheur

 dans le tumulte du Monde.

Un arbre gris torturé,

un ilot de fleurs blanches.

C’est ce que l’on voudrait

dans une gangue de silence.

 

On se lève, on titube

comme pris d’ivresse.

Non loin, sur le lac,

quelques barques de pêche

 jettent leur brindille sombre.

Nul n’est encore levé,

sauf les grands oiseaux de mer

 juchés sur leurs minces tiges.

Ils semblent méditer

tant qu’il est encore temps,

tant que le grand

charivari de la vie

n’a pas surgi

à l’horizon.

 

On se lève, on boit de

longs traits de thé glacé,

cela fait son ruissellement

de fraîcheur dans

 la dune du corps,

 cela amène l’existence

avec tant de douceur.

On voudrait n’être que

cette eau de source

et dormir au creux de

quelque sillon de terre.

Au loin, on entend

les râteaux des paludiers,

on entend le sel crisser

sous l’arrondi du bois,

 on entend le glissement

du sel sur les parois

de neige.

 

JUSTE une île de fraîcheur

dans le tumulte du Monde.

Un arbre gris torturé,

un ilot de fleurs blanches.

C’est ce que l’on voudrait

dans une offrande

faite à la Terre.

 

On est dehors, maintenant,

sous les étincelles du ciel.

La nappe de blancheur

est un plomb en fusion.

Les premiers ruisselets

de sueur dessinent

sur la peau

 leur erratique trajet.

On rêve alors d’une

conque lissée de ténèbres,

on rêve d’une Femme

 aux mains de frimas.

On rêve d’une banquise bleue

sous l’acier du septentrion.

Le long du lac, on marche

 parmi les lentilles mauves

des ophrys miroir,

les palmes du tamaris

font aux chevilles un luxe

dans l’heure levante.

 

JUSTE une île de fraîcheur

dans le tumulte du Monde.

Un arbre gris torturé,

un ilot de fleurs blanches.

C’est ce que l’on voudrait

pour seul emblème,

 pour seule joie.

 

On marche, on marche en Soi,

on marche sur le cercle du Monde.

Dans les villages de blanche torpeur,

les premiers mouvements,

les premières allégeances

à l’exister,

les premières promesses,

les premières trahisons.

 

Dans la fièvre avant l’heure

l’on ne sait plus qui l’on est,

l’on vacille en son intérieur,

 l’on ne connaît plus guère

ses propres frontières.

On est pris du mal de vivre

et l’on croque les premiers

 fruits amers et l’on se dispose

 à être Soi dans le

manque et la stupeur.

 

Au travers des croisées on

aperçoit les taches

 brunes des gravelots,

les robes noires des huîtriers,

leurs becs solaires et c’est

comme l’aube d’un langage

 naissant de l’eau,

 une aire de signification.

Un appel à être homme,

à ne nullement se renier,

à répandre son corps parmi

la multitude des choses,

 leurs plurielles esquisses,

les signes qu’elles

nous adressent

 et que, souvent, nous

ne comprenons pas.

 

Pourquoi cette

soudaine chaleur ?

 Pourquoi ces guerres

 et la chute des innocents ?

 Pourquoi l’Amour

sur fond de Mort ?

 Pourquoi ?

 

JUSTE une île de fraîcheur

dans le tumulte du Monde.

Un arbre gris torturé,

un ilot de fleurs blanches.

C’est ce que l’on voudrait

pour seul viatique,

pour seule louange.

 

JUSTE.

 

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10 mai 2022 2 10 /05 /mai /2022 17:08
Ce que veut la Beauté ?

Entre sel et ciel…

Etang de l’Ayrolle…

Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

Ce que veut la Beauté ?

 

Au regard de la Beauté,

l’Homme est

toujours en défaut,

souvent la longe-t-il

sans même l’apercevoir.

Pourtant la Beauté demande,

pourtant la Beauté rayonne

 

Au regard de la Beauté,

l’Homme est

 toujours en excès,

disant à l’envi

qu’il en est, lui,

le Créateur,

 que sans lui,

l’Homme,

jamais la Beauté

 n’existerait,

jamais la Beauté

ne trouverait son site,

seul le regard humain

l’accomplissant,

l’amenant au

prodige de paraître.

Confondante

infatuation

de l’Homme

qui, toujours,

se veut celui

par qui tout arrive,

celui par qui

tout signifie.

Celui autour de qui

tout s’incline.

 

Ce que veut la Beauté ?

 

Se dire en tant que Beauté

N’avoir nul recours

ni à l’Homme,

ni à la Pierre,

 ni à la Plante.

Beauté est Beauté

en l’entièreté de son être.

Beauté est Beauté

sans condition

qui en expliquerait

la venue,

sans préalable

qui l’annoncerait.

Beauté est en Soi,

n’a nul besoin

d’une altérité

pour en révéler

 le royaume.

Beauté est comme la Rose

 d’Angelus Silesisus

Beauté est sans pourquoi,

vit parce qu’elle vit,

n’a cure qu’on la flatte,

qu’on l’encense.

Beauté est un être

de Haute Lignée,

Beauté est événement

que nul ne peut dépasser,

Beauté se dit du Haut

de sa Présence.

 

Ce que veut la Beauté ?

 

L’immédiateté

des choses.

Le surgissement,

à lui-même

 son propre Destin,

Le déploiement

du sens pareil

au flottement

d’une bannière

sous l’étoilement

du Ciel,

au-dessus des sillons

de la Terre

où végètent les Hommes,

cernés qu’ils sont dans

leur enceinte de peau,

limités qu’ils sont

au prix de leur finitude

 

Ce que veut la Beauté ?

 

La venue du Simple

en son Simple,

le Peu et l’aura

de sa Modestie,

la Parole en

son chuchotement

la Chair en

sa forme éthérée

l’Amour en

son illisible fuite.

Ce que veut la Beauté ?

 

Ce Ciel dans la libre

venue de son être,

sa cendre grise,

puis sa patience,

sa chute inaperçue

dans le silence blanc.

 

Ce que veut la Beauté ?

 

Le sombre des collines,

leur lent glissement

 à l’horizon.

 

Ce que veut la Beauté ?

 

Le luxe immense de l’eau,

son doux appui

sur la dalle de limon,

ce calme où les

choses s’éteignent,

cette onde souple,

elle dit l’élégance

de l’instant,

ce pli du gris entre

la toile nocturne,

 l’éclat diurne.

 

Ce que veut la Beauté ?

 

La Pierre,

la Plante,

 l’Homme,

mais à égalité

de Destin

car la Beauté

est Totalité,

jamais adresse

à l’Unique,

à la Singularité

 

Ce que veut la Beauté ?

 

Ces trois lignes

 qui traversent l’eau,

que l’eau accueille

du fond de son mystère.

Trois lignes sans nom,

elles sont le reflet de

 l’Universelle Temporalité.

Au plus proche

 la ligne du Passé,

Au milieu,

 la médiation du Présent,

la présence du Présent

en sa neuve majesté.

Au plus loin,

 le point à peine

visible de l’Avenir,

cette tout juste émergence

de nos futurs desseins.

 

Ce que veut la Beauté ?

 

Le Ciel infini

 en sa haute passée,

la Colline où sont

les Existants,

le Lac où sont

les eaux lustrales,

celles par qui nous

sommes au monde.

Et ceci,

le Monde et Nous,

n’est-ce là le lieu

de toute Beauté ?

Le lieu qui devrait être

celui de notre Sagesse,

car, seuls les Sages

ont assez de sapience

et de considération

de ce qui vient

à l’encontre.

Énoncer la Beauté,

 l’accueillir comme l’aire

de notre propre Liberté.

Rien ne saurait être Beau

qui, jamais, n’aurait

connu la Liberté.

 

Beauté, Liberté :

deux noms pour

une seule Réalité.

C’est ceci que

nous voulons,

nous les Hommes,

mais le plus souvent

ne le savons pas.

 

Ce que veut la Beauté ?

 

La BEAUTÉ !

 

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4 mai 2022 3 04 /05 /mai /2022 10:11
Le sel de la vie

 

Gruissan…le sel…

Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

   [Incise – Parfois, il y a loin du Verbe à l’Image. Parfois le commentaire semble tutoyer un autre domaine que celui du visible. Cette poésie, comme bien d’autres, est « Poésie Métaphysique », c’est-à-dire qu’elle ne pose que des problèmes qui paraissent si loin des préoccupations quotidiennes. Et pourtant, si le Noir et le Blanc, loin d’être seulement des teintes que nous rencontrons dans l’horizon de notre regard, s’ourlent de mystérieuses connotations, rien ne vient ni du Noir, ni du Blanc en leur foncière innocence, tout vient de nous, Êtres-de-question dont seule la Mort vient clore le registre itératif.

   Alors, penser en « Métaphysicien », est-ce si grave ? Chacun en ceci, suit sa propre pente, son inclination naturelle. Cependant nul n’est plus aveugle que celui qui se voile les yeux. La conception ancienne de la Vérité chez les Philosophes antiques, se donnait sous les espèces du « Dévoilement ». En effet, cette conception paraît la plus juste pour déterminer le domaine du Vrai, au moins tâcher d’y parvenir.

   Lorsque nous regardons cette régulière et étonnante pyramide de sel, nous en voyons l’endroit, mais ne pouvons ignorer son envers. Il en est ainsi des choses, elles ne nous révèlent jamais qu’une partie de leurs multiples esquisses et il nous faut en faire le tour de manière à en posséder une visée la plus exacte possible. Bien évidemment, au sens strict, le Noir est le Noir ; le Blanc est le Blanc et beaucoup se contenteront de cette rassurante tautologie. Cependant, à énoncer ceci, le débat n’est nullement clos car, toujours le doute existe et la crainte de n’avoir perçu que d’une manière erronée, approximative.

   Sans doute les Choses nous questionnent-elles à notre insu. Alors, autant prendre les devants, la surprise est moins grande dès l’instant où elle est anticipée. Regarder, lire, écrire, penser, tous ces gestes du quotidien ne sauraient se circonscrire à leur propre énoncé, toujours des échos, des réverbérations, des sédiments qui remontent à la surface avec leur charge de mystère. La surface n’est jamais sans la profondeur. Mais nul n’est censé souscrire à cette vision. Il faut faire confiance à son propre « daïmôn » lui seul nous souffle la conduite à suivre. Belle lecture si vous lisez. JP.]

 

“Lorsque votre démon est en charge,

 n’essayez pas de penser consciemment.

Laissez-vous aller, attendez et obéissez.”

 

Rudyard Kipling

 

*

 

Le Blanc fait fond

sur le Noir.

Le Noir fait fond

sur le Blanc.

 

Parfois le Noir se

diffuse dans le Blanc.

Jamais le Blanc

n’altère le Noir.

Règle infrangible

 de l’Exister.

Le Noir est le

domaine de la Mort,

le site du Rien,

l’aire du Néant.

Le Blanc est le

lieu de la Vie,

le surgissement

du Tout,

l’espace

du Réel.

 

Le Ciel est Noir,

la Terre est Noire.

Ils sont le Ténébreux,

l’Impénétrable

par où l’Absurde

vient à nous

et nous cloue à

 notre propre stupeur.

 

La pyramide de sel

est Blanche.

Elle est la sublime Clarté

par où nous venons à nous

le temps d’une Éclaircie.

Le Blanc est Pureté.
Le Blanc est Cristal.

Il rayonne en nous

au plus profond

de notre être.

Il nous dit la Beauté

de ce qui est sous tous

 les horizons du monde.

Il nous dit le Refuge, le Pli,

mais aussi le Dépli.

Il nous dit le Verbe qui,

 un jour, troua le Noir,

donna Signe et Sens

à tout ce qui devait

croître et essaimer.

Le Verbe humain,

non le Verbe divin,

 il est trop loin,

il est trop tissé de songe,

peut-être de mensonge.

 

Le Blanc fait fond

sur le Noir.

Le Noir fait fond

sur le Blanc.

 

Le Verbe humain

brille au cœur

de la sublime Poésie.

Le Verbe humain est l’éclat

de la précieuse Philosophie.

Le Verbe humain, c’est lui

qui porte l’Art au paraître.

Le Sel de la Vie

est Sel du Langage.

Le Sel est l’Esprit

qui se lève,

féconde la

divine Raison.

Le Sel est céleste,

 il est le mercure

des Grands Penseurs.

Le Sel est le médiateur

alchimique entre

 l’Âme et la Pensée.

Le Sel est sacré, il purifie,

il protège des mauvais esprits.

Le Sel est Sel pour autant

qu’il se donne en tant

que rare, essentiel.

Il a la teneur

d’une Essence,

l’éclat de l’Idée.

 

Le Blanc fait fond

 sur le Noir.

Le Noir fait fond

sur le Blanc.

 

L’Image qui nous

raconte ceci est belle.

Elle est Essentielle,

 elle est Fondement.

Ici, une Réduction a eu lieu,

Une condensation s’est opérée.

Tous les prédicats obsolètes

ont été gommés.

Il ne demeure que

cette haute dialectique

 du Blanc et du Noir.
Il ne subsiste que

cette tension élémentaire

de la Vie, de la Mort.

Les fins Nuages disent

la Vie en sa fuite continuelle.

La Terre Noire dit

l’accueil final des Corps.

La pyramide de Sel

tient le milieu,

s’arcboute sous la

taie Noire du Ciel,

ses flancs sont la lisière,

la limite extrême au-delà

de laquelle le Verbe s’éteint,

s’annonce le Silence de l’Infini.

 

Le Blanc de la Vie a

rejoint le Blanc du Silence.

Le Blanc de la Vie

 connaît le Noir comme

ultime étape de son voyage.

Du Blanc nous sommes assurés,

tout comme nous sommes

conscients d’exister,

de parler, d’aimer.

 

Le Blanc fait fond

sur le Noir.

Le Noir fait fond

sur le Blanc.

 

Du Noir nous ne

 connaissons rien,

supputons seulement,

imaginons et c’est pareil

à un mot qui,

depuis une éternité,

n’attendait que

d’être biffé,

de retourner au lieu

de son Origine,

dans cet Invisible qui

nous questionne et nous met

au défi de le comprendre.

 

Mais que comprenons-nous

vraiment ?

Le Ciel en son immensité ?

La Terre en sa fermeture ?

Le Nuage en son

éphémère voilement ?

La beauté en son énigme ?

Le Verbe en son

inépuisable ressource ?

Que comprenons-nous

vraiment ?

 

Telle cette blanche pyramide

qui monte à l’assaut du Ciel

et sans doute ne sait

guère pourquoi

nous tendons nos mains

 vers l’Immense.

Elles sont Blanches,

uniquement Blanches

qu’un suaire Noir, au loin,

pourrait bien recouvrir un jour

si nous n’y prenons garde.

Car, toujours le Noir

veut phagocyter le Blanc.

Là est la loi de l’Exister.

Le Sel est soluble

dans l’eau.

L’eau est l’autre

nom du Noir.


 

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2 mai 2022 1 02 /05 /mai /2022 10:11
De quelle vision Aurore ?

"Aurore cet après-midi..."

Œuvre : André Maynet

 

***

 

De quelle vision, Aurore ?

De quelle vision

 est-elle atteinte ?

Que voit-elle, hormis

 sa propre empreinte ?

 

Son nom est natif.

Son nom est de pure virginité.

Son nom d’Aurore lui va si bien.

Puisque Aurore est qui elle est,

elle se lève dès avant le soleil.

Son premier geste est

d’amour pour la Nature.

Elle descend le frais

vallon empli de brumes,

elle confie son corps

aux fils de la Vierge,

elle le prête à l’eau

cendrée du lac.

L’eau fait, sur sa

mince anatomie,

une pellicule d’argent.

L’eau est son Amie

et lui veut du bien.

L’eau est la première

 lustration

 avant que le jour

ne déplie ses membranes,

ne prenne son essor,

ne vibre pour monter au zénith.

Toujours une déchirure, le jour,

toujours une douleur,

sortir de Soi et s’exposer

au fer du Monde.

Et aller au rythme

qui vous dépasse,

vous sépare de vous,

vous dispose à être

 cet Autre, cette Énigme

 dont vous ne pouvez

même pas connaître l’existence,

c’est si opaque un mystère,

si voilé qui, toujours, se retire

à la mesure de votre regard.

 

De quelle vision, Aurore ?

De quelle vision

 est-elle atteinte ?

Que voit-elle, hormis

son singulier horizon ?

 

Le rituel de l’ablution terminé,

Aurore regagne sa colline,

s’alimente d’une pomme,

de deux noix, d’un rien

et cette quête du peu

est à son image,

une douceur infinie,

une marche de ballerine,

le glissement d’un flocon

dans l’air printanier.

Aurore, jamais, ne peut

se confondre avec

une tâche ordinaire

 que la Nature aurait

déposée en elle,

au hasard de ses semaisons.

 Aurore est, tout à la fois,

une Jeune Femme bien réelle,

une Existante sur Terre

et, tout à la fois,

une manière d’Elfe

flottant au plus haut du ciel,

un oiseau ivre de sa liberté.

Ses occupations ?

Mais le terme est

si mal choisi,

tellement fardé de roture

et de sourde nécessité.

Aurore, tâchons de la dire

 en quelques mots légers.

Visage de blanche porcelaine

qu’entoure la dentelle

des cheveux,

Le nez est droit,

les lèvres légèrement

pulpeuses

que souligne un rose-thé,

une pure délicatesse.

Le cou est discrètement ombré,

 les clavicules minces,

les épaules si diaphanes,

elles se confondent avec la

trace neuve de la lumière.

La poitrine chuchote,

le nombril se noie

 dans une onde invisible,

 les bras s’effacent

 dans la modestie.

Le sexe se dissimule,

les jambes sont évoquées,

le bas du corps nous est ôté

car le sol lui-même,

n’aurait rien à nous dire

qui nous instruirait.

 

De quelle vision, Aurore ?

De quelle vision

est-elle atteinte ?

Que voit-elle qui,

nullement,

ne se signale ?

 

Car nous n’avons

pas parlé des yeux,

ces opales qui disent

 le tout d’Aurore,

le pli de sa conscience,

la faille ouverte de son être.

Ou, du moins, devraient le dire

mais échouent à y parvenir.

Ce-qui-la-regarde est trop vaste,

trop haut, trop loin d’une pensée

 qui prétendrait en atteindre

les rives escarpées.

Les yeux sont si clairs,

au risque de nous y perdre,

 de n’en jamais revenir.

Le regard est oblique,

 transparent,

perdu au fond de quelque

longue méditation.

Que voit Aurore que,

Voyeurs distraits,

nous n’approcherions

qu’à la mesure de

 notre propre vertige ?

« Aurore cet après-midi »,

 mais l’heure, le moment

ont-ils encore

 une importance ?

Aurore ne voit rien

qui pourrait se décliner

sous le nom d’une

chose du Monde.

Ce que voit Aurore ?

 Son écho, sa réverbération,

sa limpidité, le translucide

de qui-elle-est,

une fuite parmi

 le désordre de l’Univers,

 une fugue parmi

les folies de tous ordres,

une évasion, une sortie

de tout ce qui blesse

et porte le destin des Hommes

tout au bord de l’abîme.

Pour cette raison son

regard est insaisissable,

flou, en-elle-au-delà-d’elle

dans un cosmos qui toujours fuit

et ne dit nullement son nom.

En l’existence, se donnent

des distances infranchissables,

des abysses se creusent

emplies des eaux

bleu-marine du doute,

des ravines s’ouvrent

par où s’enfuit le sens,

par où notre peine est infinie

de trouver une voie

qui nous accomplirait en totalité.

Nous regardons dans le miroir

et c’est la fragmentation

qui nous revient

et c’est Aurore

au regard inquiet.

De quelle vision, Aurore ?

Qui donc pourrait le dire

 qui serait encore vivant ?

En quel endroit de la Terre ?

En quelle langue inouïe

qu’une étrange Babel

dissimulerait

dans la complexité

de son édifice ?

Quelle vision ?

 

 

 

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1 mai 2022 7 01 /05 /mai /2022 10:19
Ce gribouillis sur une feuille

Esquisse

Barbara Kroll

 

***

 

Un gribouillis

sur une feuille,

te disais-je,

un trait de plume

qu’un simple vent

pourrait biffer.

 

De ceci, tu n’avais cure,

t’accrochant à l’existence

telle la feuille au rameau.

Cependant les jours passaient.

 Cependant l’été tirait à sa fin

et l’amour, entre nous,

n’était plus que

cette vacillante

étincelle qui ne tarderait

à s’abîmer dans l’invisible

 poussière du temps.

Les jours à la suite des jours,

 ton image devenait cette illusion,

cette manière de spectre

à lui-même étranger,

une non-venue à l’heure

pleine de son Destin.

 

Un gribouillis

sur une feuille,

te disais-je,

un trait de plume

qu’un simple vent

pourrait biffer.

 

Une étrange aventure,

me disais-tu,

 l’eau d’une aquarelle se

perdant au ciel des saisons.

De ceci, je n’aurais pu

m’offusquer, te sachant

simple oiseau de passage

bientôt repris par

l’insistance de l’air.

 

Cependant les heures

 s’écoulaient.

 Cependant l’automne

s’annonçait

et le miroir dans lequel

nous percevions

nos silhouettes communes

se voilait comme

 s’il eût voulu

être à lui-même

sa propre perte.

 Un tain de plomb

s’abreuvant à sa

singulière lacune

 

Ton corps

de gloire

 et d’amour,

quel était-il alors,

 sinon cette griffure d’encre

 dont eût pu souffrir

un  parchemin ?

Tes cheveux,

ces minces lanières

 épousant la doline

de tes épaules ?

Le haut de ton buste,

ce tellurisme d’une pointe

acérée qui entaillait ta chair ?

 Ta main, cette courbure

qui saisissait le Rien,

s’agrippait à la margelle

 du Néant ?

 Si bien que je t’aurais crue

pareille à la visitation

d’un rêve,

 au badigeon blanc

de l’imaginaire

 sur l’illisible

marécage

 du doute.

 

Un gribouillis

 sur une feuille,

te disais-je,

un trait de plume

qu’un simple vent

pourrait biffer.

 

Je te disais ma nuit,

les blafardes échardes

qu’y imprimait

ton glissement

sur la pointe des pieds,

un effleurement

qui, jamais,

ne parvenait au

bout de son être.

Toujours en fuite

 de qui il était.

Tu me disais le peu

 de réalité qu’il y avait

à poursuivre une union

qui n’était qu’une

 réminiscence éteinte,

 une lumière se distrayant

de la courbe des yeux.

 

Cependant les secondes

s’égrenaient.

 Cependant l’hiver arrivait

avec sa résille de froid,

avec les boules d’ouate

de son frimas.

Nous n’avions plus

ni repère ni raison

d’espérer au-delà

de qui-nous-étions,

d’erratiques Figures

en quête d’elles-mêmes

 alors que le crépuscule

nous visitait à la façon

 de traits de graphite

qu’une gomme

anonyme effacerait.

Oui, effacerait

et nous ne nous

 reconnaissions plus

sur cette lisière

infinie d’indigence.

Il nous fallait demeurer

 malgré tout sur le

 pourtour des choses,

tâcher d’en éprouver

le cercle virtuel.

Quand, enfin,

pourrions-nous

nous éprouver

tels des Vivants ?

Nous étions si loin,

l’absurde si près dont

nous sentions

 l’haleine froide.

Tant de givre

 et une brume

glaçait nos bouches.

Je te disais le Silence.

Tu me disais l’Absence.

 

Un gribouillis

 sur une feuille,

te disais-je,

un trait de plume

qu’un simple vent

pourrait biffer.

 

 

 

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