Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
2 juillet 2021 5 02 /07 /juillet /2021 15:05
 Le corps à corps de l'écriture

Source : Passage de Témoins - Caen

 

***

    "Oui, c'était un été admirable. Le souvenir en est plus fort que nous qui le portons... que vous, que vous et moi ensemble devant lui... c'était un été plus fort que nous, plus fort que notre force, que nous, plus bleu que toi, plus avant que notre beauté, que mon corps, plus doux que cette peau sur la mienne sous le soleil, que cette bouche que je ne connais pas. La question ne s'est jamais posée ainsi pour moi. Je n'ai jamais imaginé partir de vous. Je ne peux pas, vous comprenez, je ne peux pas sans vos yeux enfermés dans ces frontières-ci. Sans votre corps ici. Sans cette chose... vous savez... cette légère perte de présence qui vous atteint lorsque d'autres vous regardent et que je suis là parmi eux... vous savez bien... cette ombre sur le sourire qui vous fait si désirable et dont je suis seul à savoir ce qu'elle est."

 

MARGUERITE DURAS – Agatha

*

   Mais, Marguerite, jamais nous n'avons " imaginé partir de vous", de cette si belle écriture, - personne n'écrit plus comme cela de nos jours – partir de cette langue si songeuse, toujours à la dérive, sur le bord d'une révélation, cette langue savamment intellectuelle qui dit tout sans ne jamais rien dire, aux confins de l'effraction, cette langue suspendue entre deux nuages de fumée, avant le whisky, après l'amour, à contre-jour des lieux qui, toujours, furent la place de votre écriture, ces lieux étonnamment, indissolublement liés à cet événement qu'est constamment, pour un écrivain, la rencontre avec quelque chose qui le dépasse, - précisément le lieu - dont il fait la texture même de ses fictions, les personnages n'en étant que des émanations, des lueurs océaniques, des fuites pareilles à la courbe des galets, des horizons plats et infinis, des manières d'abstractions, - personnages rapportés à la réalité concrète, compacte, j'entends - concrétions littéraires perdurant dans le temps - cette matière dont est tissé tout surgissement écrit - et, Marguerite, vous lisant à l'aveugle, nous vous reconnaîtrions parmi la multitude des mots et des déferlements langagiers, c'est cela, un écrivain, d'abord un STYLE, et que ceux parmi les lecteurs qui ne l'ont encore compris renoncent donc à ouvrir vos livres, ils n'atteindront pas ce que vous avez à dire qui est de l'ordre de la confidence, sans doute, mais de celle qui habite les grandes intuitions littéraires.

  Point n'est besoin d'une savante herméneutique pour faire corps avec ce que vous écrivez. "Pour faire corps", car c'est bien de cela dont il s'agit, de corps, d'amour, de passion, d'érotisme. C'est avec votre corps que vous écrivez, avec votre bouche, vos hanches - vous aimez tellement danser -, votre sexe - vous aimez tellement le corps à corps, c'est-à-dire la LITTÉRATURE, car la littérature, ce n'est pas un simple assemblage de mots, une savante rhétorique, - tout le monde saurait écrire suite à l'exercice d'une propédeutique -  la littérature c'est une chair, des sens, des mains, des doigts, des jambes, des émotions, des bouleversements - vous avez toujours été une grande amoureuse, autrement dit un grand écrivain - et d'ailleurs comment aurait-on pu lire un seul de vos livres - le merveilleux "Ravissement de Lol V. Stein", par exemple - sans "tomber amoureux" de vos personnages, de votre écriture ?

  Car, en définitive, vous ne parlez que de cela, d 'ECRITURE, de cette obsession qui vous ronge, vous pousse à boire, fumer, passer des nuits blanches, faire l'amour jusqu'au bord de l'évanouissement. L'amour, l'écriture, l'événement littéraire sont une seule et même chose : "un ravissement". L'on est ravi à soi, à l'autre, au monde. Condition de possibilité de toute profération : cette abstraction de soi qui vous métamorphose en ces mots que vous extrayez de votre corps dans la douleur. C'est un truisme que de dire, en même temps, l'enfantement, la création. Tout le monde sait cela, mais tout le monde l'oublie, comme l'on oublie sa propre naissance. Mais quand donc comprendra-t-on qu'écrire et faire l'amour sont issus d'une même décision, d'un même élan dont la finalité est de porter l'œuvre à son effectuation ? Quand ?  Pourtant des milliers d'œuvres - les vraies, s'entend - ne disent que cela, cette perdurance de l'amour à s'inscrire dans la chair vive de l'œuvre.

  Avant d'être l'amant, Yann Andréa Steiner sera l'écriture en acte, ce par quoi vous, Marguerite, amante et aimante, donnerez d'essentiel à la littérature, votre corps sacrificiel. Tout écrivain authentique sait cela, ce tribut à payer aux mots. On n'écrit pas comme on fait une simple correspondance, dans la distraction. L'écriture est une attention de tous les instants. Un style : existentiel, une façon de fumer, de rejeter les volutes grises, de parler, d'aller dîner, de se promener sur la plage à Trouville, de regarder la mer. Le regard, surtout. On n'est pas écrivain si l'on ne sait pas regarder. La vie d'abord. Les pensées des autres, leurs sentiments, leur dérive esthétique, leur profondeur, leurs manies, leurs obsessions. Entrer en l'autre afin d'en extraire les mots dont il est tissé.

  Car les gens ne sont que cela : des mots. La preuve : vous pouvez les décrire, en faire le portrait, en créer des fictions. Les autres sont une pâte malléable, infiniment ductile. Vous, écrivain, savez depuis le manuscrit que vous raturez, qui n'est en définitive que vos personnages en train de se solidifier, que cela sera un combat, une polémique, un pugilat. Comme l'amour. Il n'y a pas de différence essentielle de nature. C'est constitué de la même essence, celle de l'altérité. Car c'est bien de l'autre, du différent, du décalé que vous tentez de produire, simplement à partir de vous. C'est difficile, ça se débat, cela se refuse, cela vous saigne à blanc. Comme l'amant exigeant, fuyant, qui glisse entre les doigts et que vous vous exprimez à saisir, sachant la fugacité de l'événement qui va se produire, qui, déjà n'est plus là, alors même que vous vous apprêtiez à le fixer sur le papier.

   Toute l'intensité du monde est là, dans ce point d'incandescence de l'écriture, dans cette pointe extrême, fusionnelle. Le sentiment de possession - en même temps que de dépossession qui lui est corrélatif -, fusionnel, disions-nous, chair de l'écrivain jouant en écho avec sa propre chair, comme une chair spéculaire, en réalité une manière de dédoublement - et ici, inévitablement se pose la question de la proximité de l'écrivain à lui-même, à l'autre, à ce qui le rattache au plus près de ce bourgeon initial de la fratrie (n'oublions pas, ici, le thème central "d'Agatha" : la naissance d'un amour incestueux entre un frère et une sœur), mais alors, l'écrivain ne serait-il pas, toujours, victime de sa propre obsession, enfermé dans une autarcie indépassable, la frontière de son propre corps, pas même celui du frère, de la sœur et alors l'écriture ne serait que cet essai de sortie de sa propre enceinte de peau en direction du monde, cet autre hautement insaisissable dont s'emparerait l'imaginaire afin de l'amener à l'éclosion dans une hypothétique fiction ?  Autrement dit une manière d'aporie indépassable dont l'œuvre serait la mise à jour. Le métaphysicien ibérique Miguel de Unamuno aurait dit ’le sentiment tragique de la vie’. Le livre n'est peut-être que cet aveu-là. Peu importe. L'art est toujours au prix d'un renoncement à soi de son créateur. Merci Marguerite Duras d'avoir autant aimé, pour notre plus grand bonheur. Rarement passion a-t-elle pu déboucher sur un si parfait accomplissement ! Vous nous manquez ! Nous vous aimons ! Avec vous, avec vos livres, aves vos personnages, nous ne pouvons qu’être en amour. Dire ceci, c’est comprendre la littérature en son essence. Dire ceci, c’est un peu écrire Duras en soi. La merveille ne porte d’autre nom.

 

 

Partager cet article
Repost0
1 juillet 2021 4 01 /07 /juillet /2021 16:37
Toute jouissance est cri.

« Le Cri » - Edvard Munch – 1893

Source : DigitaltMuseum

*

[Pour servir de commentaire aux deux phrases

sur la « jouissance » d’Hélène Henry.]

 

   « Entre plaisir et déplaisir constitutifs de la jouissance, elle se demandait si elle n'allait pas se mettre à "aimer" des hommes pour lesquels elle ne ressentait aucun désir. Une manière d'acter le déplaisir dans le jouir. » HH.

*

   Jouir est s’oublier soi-même en même temps qu’amener l’autre à paraître sous la figure de cela même qui comblera l’abîme de nos sens. Dans l’acte de jouir, c’est le jouir lui-même qui est porté à son acmé comme le point ultime d’atteinte de l’exister, sorte de non-retour car, jamais, l’on ne revient en-deçà de cette sublimation que, toujours, l’on veut porter à un exhaussement. C’est l’au-delà de la jouissance en tant qu’expérience limite de soi qui est en jeu. Pure dissolution des consciences dans l’atteinte de ce qui est pur absolu.

Soi dépassé.

L’autre, dépassé.

   Seul, l’objet au centre du désir : cette chair transcendée, cette pomme cézanienne dans le pur éclat d’elle-même, ce nu de Modigliani dans la rutilance de l’acte de peindre. Mais aussi bien cet objet rejeté, cette mise en scène du pur contingent réalisé par le truchement de l’arte povera. Mais aussi bien cette femme que nul ne remarque, cet homme ordinaire battant le pavé, que l’on rejoint dans la mansarde afin d’y conjuguer les flammes du désir.

   La jouissance est une telle démesure qu’elle suspend le jugement - la fameuse époché phénoménologique -, pour ne laisser place qu’au flux impérieux du « plaisir intense des sens », étymologie de « jouissance ». C’est un non-espace, non-temps qui s’installe comme une braise vive dans la chair des amants, écharde que, toujours, ils chercheront à retrouver sous les espèces d’une improbable éternité. Il n’y a guère de dissolution temporelle aussi efficace, d’expérience ontologique qui porte aussi loin les individus à la frontière à partir de laquelle seul le néant a lieu.

   Le jouir est cette phase excédant son propre objet, cette oscillation entre deux vertiges : celui de vivre, celui de mourir. Sous la figure rayonnante de la jouissance, la souffrance à l’état pur. Celle, précisément, de l’impossibilité d’un « éternel retour du même ». « Post coïtum omne animale triste ». Infinie tristesse d’un acte dont on sait qu’il ne se dépassera pas, qu’il est humainement déterminé par deux bornes infrangibles : naissance, mort. Thanatos s’agitant sous Eros. Jouir est le dernier cri avant la finitude. Pour cette raison, « qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ». Ainsi disait le poète, en termes choisis, ce que l’existence dit en mode prosaïque.

   Ce que l’amour dit en poème, la douleur l’énonce en prose. Nous ne sommes que ce battement entre deux impossibles : celui de renaître, celui de mourir bientôt. La jouissance est là comme seul recours pour tenir éloignés les deux bords de l’abîme. C’est pourquoi, avant tout, il n’est qu’un harmonique du cri. Cri primal par lequel nous paraissons. Cri dernier par lequel nous refermons la parenthèse. Il n’est temps que de jouir dans cet intervalle !

Partager cet article
Repost0
1 juillet 2021 4 01 /07 /juillet /2021 16:26
Voyage en utopie

 Alfred Wallis

St Ives circa 1928
Oil and drawing on board
Presented by Ben Nicholson 1966

© The estate of Alfred Wallis

 

*

 

 

   Immédiatement nous sommes conquis et nous ne demandons même pas pourquoi. La rencontre a ceci de particulier qu'elle nous met directement en relation, en osmose avec l'Autre. Mais on objectera sans doute que ce fameux "autre" est ici bien peu présent. Deux ou trois silhouettes imperceptibles. Et les maisons ? Sont-elles le signe d''une altérité, d'un lieu où nous dépayser, celui d'une conque où trouver ressourcement ? Les portes sont vides et les croisées comme encagées, grillagées, peut-être semblable aux sinistres geôles dont Tommaso Campanella utilisa le cachot afin, à partir de l'obscur, d'écrire cette fameuse "Cité du Soleil", dans laquelle la Raison serait le principe souverain, les lois de l'astrologie en établissant le mode de fonctionnement. L'utopie solaire engendrée depuis les ténébreuses prisons du Saint- Office. L'utopie rêvée - il en est toujours ainsi, sinon l'essence même de l'imaginaire est détruite -, s'élevant d'une Cité sept fois fortifiée, alors qu'un Métaphysicien en assure l'ordre, et que les étoiles déclinent leurs mouvements naturels dont les Îliens doivent s'inspirer dans leur quête d'une société égalitaire.

  Et, pourtant, malgré ces doutes dont nous sommes soudain saisis - ne s'agit-il pas plutôt, de la condamnation sans appel de toute possibilité de liberté ? -, quelque chose nous attire que nous ne saurions définir. Sans doute ce bleu profond, moiré, comme animé de l'intérieur, puis sa fuite blanche derrière la probable île. Du moins le supputons-nous. Les bateaux semblent avoir hissé leurs voiles pour un voyage immobile, ourlé de mystère et les flots sont de neige ou bien d'écume, peut-être d'argent.

  Le bleu éloigne, couleur du ciel infini, de l'eau à la longue dérive par-delà le gonflement de l'horizon. Le blanc nous abstrait des choses qui sont posées à côté de cette soudaine virginité et nous n'avons plus de parole. La blancheur n'admet nullement la tache, l'ombre, le gris de la cendre où l'aile portée de la nuée. Le blanc nous intime l'ordre de demeurer au seuil des choses, dans leur réserve, à l'orée de leur irréfragable fermeture. Car le blanc ne peut être que stupeur. Voyez les étendues arctiques, voyez les mines de sel de Taoudéni, les collines de talc éblouissant, la dérive de la banquise alors que tout est givre et frimas. Et ce blanc du ciel au-dessus des terres, n'est-il pas la démesure de ce que le regard peut supporter ? L'astronomie prise à son propre piège : l'observation à l'œil nu de l'étoile blanche qui fait brûler son œil de Cyclope au centre des nuées aveuglantes comme du mercure, comme une mer de platine en fusion.

  Mais alors, le Métaphysicien se serait-il transformé en démiurge fou joignant ses actes au feu solaire, comme pour punir les hommes d'avoir osé tutoyer l'inconnaissable ? Nous ne parlons pas de Dieula Métaphysique a d'autres chats à fouetter avec sa profusion de causes premières, ses empilements d'arrière-mondes, ses pyramides d'outre-noirs, d'outre-vie, d'outre-ciel, toujours un(e) "outre" à remplir dont le fond est un absolu, donc infiniment hostile à tout remplissage, à toute idée de plénitude.

  La Métaphysique, c'est l'attrait du Vide, du Rien, du Néant, alors pourquoi demeurer autour de la Question, à girer à la manière des feux follets alors que le crépuscule gagne, lequel ne nous apportera que la prochaine noirceur et nos mains négatives grifferont la solitude, déchireront des voiles et la nuit muette pliera autour de nos corps égarés son suaire d'encre ? Pourquoi la Question alors que nous le savons depuis le pli de notre conscience, il n'y a d'issue qu'à convoquer l'impossible attente. De quoi ? De qui ? De ce toujours hypothétique Autre ?

  Mais nous ne le voyons pas, ou alors, comme sur le tableau, dans l'absence de lui-même, le retrait, la vacuité sans fin pareille à une bonde dans laquelle se déverseraient nos humeurs, nos maigres palinodies, nos silhouettes de carton-pâte. Car est-on jamais assurés d'être plus que cela, du papier mâché par un mannequin d'osier échappé de quelque toile de de Chirico ? Avec son outre-lumière de cul-de-bouteille, ses perspectives se fondant dans le soufre en fusion, ses cariatides aux yeux vides, ses arches polyglottes qui ne parlent que des langues d'effroi et d'existence chiffonnée, recluse sur elle-même, genre de poulpe aveugle s'essayant à déchiffrer les ondes des abysses.

  Mais, déjà, nous nous égarons. Déjà nous sommes allés trop loin, bien au-delà de notre mince utopie et la "Cité du Soleil" n'est plus qu'un point brillant au fond de la galaxie, une queue de comète terminale, des cheveux brûlant leurs derniers feux. Mais faut-il que le doute nous ait singulièrement étreints, le tragique nous ait visités, pour que, soudain, nous nous abandonnions à de telles noirceurs !

  Sans doute la faute du ciel, ou bien du blanc. Sans doute un étourdissement, un vertige. Mais, ce blanc que nous avions pris pour la couleur même du ciel, voilà qu'il entoure maintenant l'œuvre comme le ferait le cadre d'un petit chromo avec ses étoiles de neige floconnant le paysage, le laissant dans une manière d'innocence première. Nous nous étions égarés, emportés par la brise de l'imaginaire et nous voguions en plein drame alors que, devant nous, se tenait la petite miniature tellement semblable à un dessin d'enfant, à une peinture à la Douanier Rousseau voulant nous dire la simplicité des choses, la douceur de la Baie de Saint Ives, là, tout au bout de l'étrave de la Cornouailles, ce bout de ‘finistère’ , cette ‘finibus terræ’  venue dire aux vagues les derniers sillons du continent, l'adhésion encore au rocher, à la glaise, à la terre, ce bout du monde avant le grand saut dans l'inconnu.

  C'est alors, qu'avant de nous absenter du tableau, nous le voyons enfin, avec son village de maisons blanches badigeonnées de chaux, sa minuscule Place où, le soir, lorsque les bateaux rentrent au port, s'animent les conversations, courent les enfants dans une trille de bruits joyeux. Nous étions partis en utopie, ce non-lieu qu'on n'atteint qu'en rêve, en contemplant ou en griffonnant sur des bouts de papiers une infinité de cercles qui se mêlent les uns aux autres, faciles métaphores d'une insularité dont nous ne sortons vraiment jamais, sauf parfois à étendre notre corps de péninsule, à étirer nos membres de presqu'île. Car, à notre grand désarroi, jamais plus nous ne serons une île, totalement, nous voulons dire, comme la monade leibnizienne qui vit sans portes ni fenêtres, seulement reliée à l'idée de l'Absolu. La seule île que nous n’ayons jamais habitée, avec ses flots adoucis, ses battements souples, ses lentes dérives, c'était celle de la conque amniotique, alors que, déjà, nous voguions vers les rivages de notre existence. Sans doute ce souvenir hante-t-il nos mémoires, ceci, cette nostalgie expliquant cela, l'utopie.

  Cette œuvre touchante par sa spontanéité, sa fraîcheur, sa modestie, nous n'avions fait que l'alourdir du poids du concept, l'incliner à l'aridité de la raison, la ployer sous le fardeau d'une possible thèse du monde. Toujours nous serons les victimes des Lumières alors qu'en notre fond ce n'est que la nuit que nous cherchons, cet abri de la sublime Poésie !

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
30 juin 2021 3 30 /06 /juin /2021 16:46
On disait la nuit …

« La nuit »

Photographie : Patricia Weibel

*

   On disait la nuit, sa douceur d’ouate noire, son accueil des corps dans le repos, l’aire de ressourcement de l’esprit, la plénitude de l’âme dans les voiles du songe. Tout cela on le disait, mais précautionneusement, du bout des lèvres, roulant les paroles délicieuses dans le limaçon étroit et volubile de sa langue. De peur que la vérité du dire ne s’étiole et que ne demeure la perdition pareille au feu-follet, la perte à jamais du fantasme dans les rets du réel. Les papilles s’irisaient à seulement effleurer l’ombre nocturne, à l’évoquer à la manière d’un baume dont on pouvait, à loisir, oindre la moindre parcelle de sa peau. Le soir, à l’heure où les hommes et les femmes regagnaient leurs logis avec des roulements d’épaules et des hanches chaloupant en cadence, déjà l’on se disposait à recevoir la nuit, sa braise vive. Car l’on croyait à la pointe du désir lovée dans les plis d’ombre, car l’on pensait la nuit dispensatrice de jouissance, pareille à la hampe de fougère dispersant dans l’éther les spores de la joie, les corpuscules de la fécondation. Ne disait-on pas, ordinairement, la nuit féconde, sa forme identique à la rotondité de la Lune, cette effigie féminine, son gonflement comme l’amante ensemencée qui porte en soi la demeure visible à partir de laquelle la vie sera et fera son étourdissant carrousel ? Ne disait-on ceci avec l’intime conviction que rien n’était à espérer du jour, de la lumière qui anéantissaient tout dans une même indistinction et reconduisaient au néant les étreintes nocturnes ? Ne proférait-on cela à longueur d’heures creuses, à l’aune d’une insuffisante pensée ? Car il y avait danger à ne pas s’écarter de soi, à vivre dans la première assertion venue, à en faire un acte de foi, puis vaquer à ses occupations avec la tranquillité et l’assurance de celui qui sait, de celle qui a expérimenté jusqu’à la dernière goutte la fontaine de la révélation.

  Le matin, après que les étreintes nocturnes avaient eu lieu, on se levait en titubant, au bord d’un vertige. On buvait son café dont on ressentait la brûlure comme si elle avait été une confirmation du désir, son dernier reflux sur la pente du jour. On s’accouplait alors selon quantité de combinaisons, dans les transports, dans les carlingues de métal des voitures, dans les bureaux où crépitaient les messages du monde. C’est à peine si l’on jetait un coup d’œil aux silhouettes adjacentes, ou alors furtivement, de peur d’y lire ses propres désirs, de voir s’allumer sur la blancheur de la sclérotique voisine la verticalité de ses propres fantasmes. En réalité, on remettait à la nuit, à la part d’encre et de suie la tâche de sceller le désir, de ne point l’exhumer dans la démesure de la clarté. Il fallait demeurer au secret et ne pas déflorer ce qui avait eu lieu. C’était une trop vive brûlure et les gestes de l’amour devaient s’envelopper d’un suaire noir, glisser identiques à des racines dans les touffeurs du limon, s’invaginer dans les convulsions de la glaise. On crucifiait Eros sous Thanatos, on effeuillait les gerbes du plaisir et l’on n’en gardait que quelques étamines, la levée d’un pistil dans l’aube claire.

   Mais combien l’on était dans l’erreur. Combien on offrait en sacrifice ce qui, né du tumulte des sens, voulait se dire dans la plus haute profération, voulait rayonner et ensemencer le ciel de la seule nécessité qui soit : prendre acte de soi, de l’autre et porter bien au-delà des yeux soudés de cécité le prodigieux don d’exister. Voici ce qu’il aurait fallu faire. A la pointe du jour ou bien à la naissance du crépuscule, ces deux moments du dialogue du jour et de la nuit, il eût fallu s’accoupler dans les chambres ouvertes, au sommet des rochers, en haut des dykes de lave, dans la rutilance de l’heure, sur les plages de galets gris, sur les pampres couleur de feuille morte des vignes, sur tous les autels du monde, au milieu des agoras semées de vent, sur la crête des falaises de craie, dans les corridors des villes, en haut des immeubles de verre aux mille réfractions. Ce qu’il aurait fallu penser : cette évidence qu’à elle seule la nuit ne pouvait contenir l’entièreté du désir, la totalité de la jouissance universelle. Tout comme l’art, la rencontre a besoin de lumière afin que s’ouvre le motif de la compréhension. La nuit, ce principe féminin enveloppant, cette conque apprêtée à la réception en même temps qu’à la donation, cette bogue semée d’un vivant corail, il lui faut impérativement rencontrer le jour, ce principe masculin ouvrant, perforant, disant en mode symbolique la turgescence de l’éclair, son rayonnement afin que du monde compact, dense, quelque chose s’éclaire et devienne visible.

   C’est toujours dans la démesure - l’amour est une chose de cet ordre puisque, à proprement parler, jamais il ne saurait être mesuré, thématisé dans les limites étroites d’un étalon -, c’est toujours dans l’excès que les vérités surgissent avec leur incision de silex. La nuit, il faut la déflorer, l’ouvrir jusqu’à l’extase, Dionysos surgissant, tel le Minotaure des failles de l’ombre pour faire croître ce qui, toujours a besoin de s’exhausser de l’abîme et se révéler au plein jour, au soleil dont le principe mâle fécondateur est le vivant archétype. Longtemps nous avons cru que la nuit nous sauverait de nous-mêmes, nous accueillerait dans des langes d’ombre, tels de touchants et fragiles nouveau-nés. Oui, certes, mais il est temps de déciller ses yeux, de voir en face ce qui nous requiert en tant qu’hommes, en tant que femmes. C’est toujours d’une violence dont il est question, d’un affrontement du jour et de la nuit que résultent les formes que nous mettons au monde. Tout est déchirure, aussi bien l’hymen de l’amante que le saut de l’homme dans l’abîme qui le reçoit afin que quelque chose de possible ait lieu. Nous sommes toujours l’endroit d’une tragédie. Or, la tragédie, de tous temps, a eu besoin d’une scène pour installer l’espace de son jeu mortifère. Commençant à exister ou bien donnant la vie, à savoir le sens, nous mourrons à nous-mêmes alors que le jour se lève et que la nuit s’enveloppe de sa chape nocturne. Jamais on ne peut échapper au rythme universel et immémorial du nycthémère, ombre lumière, lumière ombre jusqu’à notre clignotement dernier. Osons la nuit ! Osons le jour !

Partager cet article
Repost0
Published by Blanc Seing - dans Mydriase
29 juin 2021 2 29 /06 /juin /2021 15:06
Solstice d’hiver.

Sophie Rousseau

'Solstice d'hiver'

Encre de Chine 

*

   C’est toujours ceci qui se produit au solstice et le temps comme figé, plongé dans la glu. La lumière est longue, venue du pôle avec des coulures émeraude et des pensées boréales. Une intime perdition des choses, un chant à peine plus haut que la rumeur du lichen sur le sol gelé. Le permafrost est en attente d’être. On devine ses lentes reptations sous la percussion des sabots et les caribous tournent en rond avec le gel accroché à leur courte toison. Tout dérive dans l’irrésolution. Tout demeure en attente. Ce sont des nappes de lumière qui descendent vers le Sud avec la lenteur un peu majestueuse et lourde du vol des cygnes : des battements demandant l’envol, mais le ciel pèse de tout son poids d’étain, de toute sa démesure de plomb. Il fait si gris, les nuages sont si cendrés sous la courbure du monde ! Et pourtant la clarté ricoche, rebondit, elle veut connaître. Mais dans la douleur d’être, de se mouvoir, dans la peur des confins et des proches disparitions. Mais les phosphènes trouvent à se ressourcer, s’abreuvant à la meute liquide du Rhône, à sa nappe d’eau infinie que réverbèrent le ciel uni, sa vitre lisse. Alors cela coule infiniment vers un proche avenir, alors cela se rassure à la navigation même, aux ondoiements, alors cela glisse le long des berges, s’emmêlant aux herbes pareilles aux cheveux des sirènes. Alors cela se multiplie et il n’y a plus que cette ligne de fuite, ce glissement dans la fente ouverte de l’horizon.

   Puis la lumière baisse, s’émousse, s’use sur les galets de la Crau, s’accroche à la steppe, se ralentit aux touffes des lavandes, s’enroule autour des hampes des asphodèles, se pique aux pointes des euphorbes, se perd dans les tapis de laine des moutons, se vrille dans les cornes cannelées des béliers. Elle n’est plus qu’une faible anecdote, un murmure, quelques grains suspendus dans l’air tissé de vent, genre de poussière que, déjà, attire la grande respiration marine. La Camargue est là qui attend sous le ciel et demeure au bord d’elle-même dans un geste qui semble éternel. Les jours sont si courts, cernés de suie de toutes parts et une fine brume dissimule aux yeux tout ce qui pourrait fixer un repère, servir de fanal. Aussi bien les lames des roseaux, les assemblées hirsutes des tamaris, les rameaux étroits des salicornes. Aussi bien les chaumières des gardians fichées de leurs croix, les dunes blanches des salines, la résille des canaux, les damiers verts et gris de la sansouïre. Rien n’est visible qu’une démesure de tout ce qui pourrait paraître et semble voué à quelque dissimulation définitive. Ici, sur cette terre des confins que ne borde que l’immensité de l’eau, se joue l’immémoriale dramaturgie de l’ombre et de la lumière, l’infinie partition d’un territoire commun soumis aux flux et reflux continuels de la vie, de la mort. Tout ceci que semble mettre en scène la tonalité fondamentale par laquelle le jour recouvre la nuit, ou bien l’inverse. Mais, alors, comment ne pas convoquer l’une des plus belles métaphores qui soit : la polémique du blanc et du noir que la faune d’ici semble avoir installé à la manière d’une compréhension des rythmes mêmes auxquels l’homme est soumis ?

   Blanc l’envol continu des aigrettes, l’irisation de leurs ailes à contre-jour de l’eau, leur bec si fin planté dans la densité d’une chair laiteuse, d’une dentelle diaphane. L’image est si irréelle qu’elle semble comme en sustentation, écho d’un temps radieux qui semblerait ne devoir jamais finir, promesse d’éternité à nulle autre pareille. Alors les heures n’ont plus de limite, alors l’éclosion est plurielle, immense corne d’abondance recelant en son sein l’arche ouverte de la plénitude. Ici, sans doute, s’inscrit, dans le secret des rémiges, la gloire solaire, le solstice au plus haut de l’éther, les cérémonies rituelles au centre des cercles de pierres levées avec le front ceint de blanches aubépines. Tant à espérer de cela qui brille et emporte au-delà de soi-même, dans l’aire des mirages, dans le pays des scintillements inépuisables, tout près des portes d’un probable absolu. Blanche la course des chevaux, leurs crinières battues par la langue acide du Mistral ou bien celle, humide, de la Lagarde montant de la Méditerranée.

   Blanc-noir, l’envol des sternes comme pour dire la transition, le passage d’un état à un autre, la perte de la lumière dans les mailles complexes du clair-obscur. Les têtes sont noires avec la prunelle de jais plantée au milieu et un point brillant semblant dire la lucidité, le saut final vers la mort qui attend et veille à ce que tout soit accompli conformément aux lois de l’existence. Le bec est rouge, braise ardente portant en elle la nécessité du sacrifice de soi afin que d’autres puissent paraître et endosser la vêture étroite de leur destin. Le corps est gris qui déjà s’incline dans la cendre et l’effacement.

   Noir, le taureau, emblème d’une Camargue sauvage, indomptable, si près de basculer dans la mort. Soit celle du taureau, ou bien du toréador, sinon du gardian s’il ne se prémunit de la meute en furie. Alors il n’y a plus de lumière, alors le solstice d’hiver a accompli l’acte dernier de sa mission temporelle : terrasser le jour, substituer la nuit à tout essai de profération de cela qui voudrait sortir du néant. Fascinants taureaux. Fascinants parce qu’ils sont dangereux, parce qu’ils véhiculent la mort comme le soleil prodigue la vie. Recueil dans l’espace fermé de la bouvine sauvage, de l’énergie, de la pulsion de vie, de la pulsion de mort. Au-dessus des plaines liquides, dans les lagunes bleues sont les hordes écumantes, taches d’ébène que cerne l’onde bouillonnante alors que les faucilles blanches des cornes entaillent les écharpes de brume. Nuage de vibrante obsidienne que poursuit le trident du toucheur et sous le bruit assourdissant du galop se couchent, comme pour des noces tragiques, les quenouilles couleur de terre des typhas, les capitules des fragiles centaurées. Le ballet est beau qui célèbre Thanatos, alors qu’Eros succombe dans une dernière gloire. Car, toujours, triomphe le noir. Car toujours s’efface le blanc. Solstice d’hiver emportant dans sa confondante glaciation les flammes exubérantes du solstice d’été.

   C’est parce que le taureau, depuis la lointaine préhistoire, a été le signe d’une puissance tutélaire hors du commun, bien au-delà de celle des hommes, qu’il a inspiré tant de crainte et de respect mêlés. Ainsi la vénération de l’animal devenu sacré à force de symboles intégrés à même sa fougue, sa virilité, son mystérieux magnétisme se confondant avec la démesure de l’orage, l’empire qu’il étend sur toutes choses. Ainsi, pour n’en citer que quelques manifestations parmi le panthéon des dieux : Enlil, le dieu-taureau sumérien ; Mardouk le dieu solaire babylonien ; Minos, le dieu-taureau crétois ; Zeus, le dieu grec transformé en taureau pour enlever Europe. Sans bien le savoir, mais placé sous l’emprise de ces puissants archétypes qui les traversent - taureau ; solstices et grandes scansions temporelles -, les hommes vivent au rythme de ces pulsions primordiales dont, le plus souvent, ils ressentent les marées à défaut de pouvoir les expliquer.

   Noire, Sara, la reine des Gitans, la reine du peuple nomade, celui soumis à l’éternelle diaspora depuis la nuit des temps. Or tout nomadisme est continuel passage d’un pays à un autre, d’un temps à un autre, d’un solstice à un autre, comme s’il s’agissait d’exorciser, par le voyage toujours recommencé, cette stupeur temporelle qui, dans l’immobilisme, dans l’arrêt, plonge l’humain dans un hiver définitif hors de la lumière fécondante. C’est ce que nous dit, en mode crypté, la belle poésie de Jean de Baroncelli dans « Le Cantique des Gitanes », dont l’extrait ci-après voudrait dire la trace signifiante :

 

« Sainte Sara la brune

O reine des Gitanes

Depuis combien de milliers de lunes

Venons-nous chaque année.

Tu es le lien qui unit

Du Couchant au Levant

Sur les routes poussiéreuses

Nos hordes errantes.

Sainte Sara la brune…

Depuis combien de lunes…»

   

   Or, comment mieux nommer le solstice d’été qu’en lui attribuant le beau nom de « Levant ».

  Or, comment mieux nommer le solstice d’hiver qu’en lui attribuant le beau nom de « Couchant » ?

  Du Levant au Couchant, tout l’intervalle temporel de la condition humaine. Ce que la belle encre de Sophie Rousseau nous invite à méditer dans une grande économie de moyens, en même temps que dans une esthétique songeuse.

Solstice d’hiver.
Partager cet article
Repost0
29 juin 2021 2 29 /06 /juin /2021 14:49
La goutte d'eau en nous

Photographie :

Schnitzler Heiko

*

 

   Sans doute tout discours énonçant : « Cette goutte d’eau est belle », sera considéré ou bien comme la conséquence, chez son énonciateur, d’une inclination à  l’hyperesthésie ou bien d’une posture teintée d’une volonté de décrire le réel selon une manière d’atypie. Et, pourtant, nous persistons à dire l’esthétique de cette simple bulle d’eau, sa forme aussi bien que ce qui s’y dessine dès l’instant où l’on veut bien se disposer à une lecture plurielle des choses, à quelque signification venant nous visiter. Car une chose, aussi modeste fût-elle, est plus que ce qu’elle veut bien nous livrer de sa silhouette dans une rapide saisie. Certes, cette goutte d’eau est suspendue à l’extrémité de quelque col de cygne avant même qu’elle ne chute dans sa propre immanence et nous l’aurons déjà oubliée à peine disparue de notre champ de vision.

  Mais ceci, cette incroyable aptitude de l’homme à effacer ce qui vient de faire phénomène, se conjugue-t-elle avec une manière d’amnésie dont chacun serait atteint ? Ce qui revient à dire que le réel ne nous affecterait qu’à l’aune de sa rapide apparition, toujours suivie d’un soudain retrait ? N’y aurait-il aucune nervure qui s’inscrirait sur le plan de notre conscience, aucun désir qui survivrait au mince événement, aucune leçon faisant son refrain entêtant dans l’espace de notre intellect ? Et, du reste, pourrions-nous archiver les milliards d’informations qui, en permanence, pareils à une pluie de météorites, viennent ricocher sur l’aire électrique de notre cortex ?

  Nous percevons déjà combien ces menues perceptions s’invaginent dans notre chair comme pour jouer en contrepoint de notre distraction à leur égard. Car tout s’imprime avec force, tout fore et fait ses ondes, tout gire infiniment alors que nous continuons d’exister et, d’ailleurs, sans doute, n’existons-nous qu’à empiler, seconde après seconde, jour après jour, ces constants et itératifs feux de Bengale, ces perpétuels jaillissements, ces gerbes d’étincelles, ces percussions de bombes ignées, ces retombées de scories, ces longs écoulements de lave. Mais aussi le vol éthéré de la libellule, le grésillement de la flamme de la bougie, le reflet mordoré de la tunique du scarabée.

  Car, de la même manière qu’existent quantité de choses inexpliquées, de connaissances cryptées, de savoirs travaillant sous la ligne de flottaison de l'attention, de cognitions évoluant à bas bruit, il existe  une conscience nerveuse de la matière, sans doute circonscrite à son agitation moléculaire, cependant sans arrière-monde faisant signe vers une métaphysique ne voulant dire son nom ou bien de spiritualité pareille à une pure mystique.

  Non, les choses sont plus simples, de l’ordre de la synapse, de la gaine de myéline, du phénomène neurobiologique élémentaire, comme si des fleuves étincelants de matière nous parcouraient de l’intérieur, dilataient notre peau et, alors, nous serions tellement semblables à des baudruches prêtes à coloniser l’espace, à des météores fous sidérés d’eux-mêmes, à d’infinies turbulences parsemant les aires célestes de leurs coruscants éclairs.

  De ceci nous sommes assurés, identiquement à notre métabolisme que nous ne percevons guère mais dont nous supputons les trajets multiples, les combinaisons complexes, les traductions énergétiques incessantes. Mais nous l’oublions constamment, sans doute de peur que les milliers d’impulsions, de décharges, de séismes ne nous envahissent comme le font les eaux sur les franges côtières lors des marées d’équinoxe.

  Parcourue incessamment d’une nuée de signes, d’une pluie de pleins et de déliés, incisée au calame, gravée au burin, notre peau, sans doute plus symbolique que réelle, se métamorphose en parchemin, en palimpseste sur lequel viennent rebondir les murmures du monde. De cela nous ne pouvons faire l’économie, tellement nous nous disposons à cette merveilleuse offrande, le sachant ou à notre insu.

  Dans un court recueil de nouvelles « La Fièvre », le jeune écrivain Le Clézio, déclarait alors, concernant les menus événements du monde dont nous sommes atteints, - rage de dents, température, vertige - :

      « Nos peaux, nos yeux, nos oreilles, nos nez, nos langues emmagasinent tous les jours des millions de sensations dont pas une n'est oubliée. Voilà le danger. Nous sommes de vrais volcans. »

  Volcans, sans doute le sommes-nous à la mesure de nos douleurs grandes ou minuscules, de nos passions, de nos enthousiasmes dont, souvent, nous avons bien du mal à endiguer le cours. Cependant se dessine également en nous ce qu’il convient de nommer  une « phénoménologie de l’indicible », tellement s’inscrit dans le cours de l’aventure que nous sommes, le menu, le discret, le minuscule,  autant de simples percepts que nous ne renonçons pas à enfouir dans le pli de quelque vécu et qui, en certaines  occasions, s’autorisent à une résurgence. Ainsi notre soi-disant liberté n’est parfois que la partie visible d’une sourde matière travaillant en sous-sol.

  L’émotion consécutive à une douce pluie ne fait, peut-être, que réactualiser telle goutte d’eau au rebord d’une gouttière dont, enfant, nous observions avec ravissement la chute, la mince symphonie sur la plaque de zinc. Ainsi, la feuille d’automne à la couleur d’argile, le galet dans le cercle de la crique, la racine au profond du bois, la ramure agitée par le vent, tout ce microcosme, toute cette indistincte présence des choses continue-t-elle, à notre insu, à développer dans notre enceinte de peau et de chair, sa mince dramaturgie. Parfois certains confondent-ils ces manifestations avec les remous d’une précieuse nostalgie. En réalité il ne s’agit que d’une disposition de la matière à signifier,  à nous rappeler la simple vie élémentaire de la paramécie, le vol stationnaire du colibri, la turbulence verte de la « manta religiosis ». Comme un vitalisme animant en profondeur la nature, lequel porte jusqu’à notre entendement l’infini bruissement des choses. Et ce bruit de fond du monde n’est jamais totalement différent du nôtre. Nous n’en prenons acte qu’à l’incliner au témoignage.

  Et, maintenant, si nous nous demandons quelle sorte de motivation se tenait à l’arrière-plan de la conscience du Photographe lorsqu’il a pris la goutte d’eau, - banalité en apparence - comme thème de son travail de recherche, nous percevons combien le réel nous parle du bout des lèvres, chuchote et, souvent, sait se taire afin de nous reconduire à une plus juste évaluation de ce qui ne se révèle jamais mieux qu’en s’absentant ou en se dévoilant dans l’ordre de l’inaperçu.

 

Partager cet article
Repost0
28 juin 2021 1 28 /06 /juin /2021 17:37
Le Petit Vernissé.

Œuvre : Anne-Sophie Gilloen

*

   Il y avait une fois une colline habitée d'argile et de sable qui dominait l'eau verte d'un lac. A part le cognement des pics-verts sur les colonnes des arbres et la fuite rousse des écureuils dans la chevelure des pins, il ne se passait guère d'autre événement. Tout reposait dans le calme, aussi bien le bleu céladon du ciel que la fuite des nuages dans leurs boules d'écume. Le temps, comme suspendu, jouait à cache-cache avec le fil de l'horizon et les choses auraient pu rester ainsi jusqu'à la fin du monde. Mais un jour que la pluie avait touché de ses doigts d'eau le faîte des arbres et fait ses minces ruisseaux à même le sol couleur de pain brûlé, là, au milieu des meutes de sable, la glaise s'était roulée en boule, à la manière du hérisson. Puis avait dévalé la pente qui coulait vers le miroir du lac. Alors, on ne sait par quel miracle, la petite éminence de terre avait durci, sous l'effet des rayons du soleil ou bien grâce aux feux que de nombreux chemineaux allumaient sur les rives afin de se réchauffer. Quant aux couleurs, certains prétendent que celle du visage était le reflet de la patine des jours; celle des joues venait de la braise non encore éteinte; celle de la vêture suintait des arbres dans leurs atours nocturnes; celle du baluchon due à la lumière des châtaignes; celle du maillot, enfin, était le reflet des fougères que l'aube traversait de ses lignes de clarté.

Et, lorsque le Petit Vernissé avait pris conscience qu'il existait, au même titre que le gland du chêne, le pli de l'air ou bien le vol inaperçu de la libellule, il décida de mêler son existence aux hasards du monde, en voyageur discret cependant, ce que sa taille somme toute modeste lui permettait sans autre forme d'embarras. Mais, étant terre, on n'en est pas moins une manière d'homme, petit, légèrement rubicond, et non moins attiré par quelque nourriture terrestre. Se sustenter, il le fallait bien, mais dans la juste mesure du jour, non en raison d'une gourmandise qui eût incliné à des modes bien superfétatoires. Ainsi, Octave - c'était le nom qui, tout naturellement était venu échoir sur sa modeste anatomie -, Octave donc déambulait sur les chemins, cueillant une baie ici, un pétale de fleur là, le fruit d'une sorbe ailleurs. C'était une sorte de dérive primesautière, de menu enchantement qui le conduisait tantôt en haut de pics encore habités de neige, tantôt sur les rivages d'une mer rutilante de sel, tantôt sur des versants parcourus par la mousse vert-de-grisée et les coulures sanguines des chênes-lièges.

Parfois, depuis son belvédère - Octave aimait voir les choses depuis l'en-haut du monde -, il apercevait, lovés dans des criques couleur de bitume, des villages blancs parcourus du sillage continu des humains. Comme des fourmis pressées de courir, l'on ne sait où, dans un carrousel de mouvements incompréhensibles. Le Petit Vernissé ne savait pourquoi, mais il se méfiait de ces effigies colorées qui s'agitaient en tous sens, comme pris de quelque folie. Car, si Octave était de terre, il était aussi d'intelligence et de cœur, et il faisait de ces vertus aussi bon usage que sa conscience le lui dictait. À l'écart de ce qui vibrait et se perdait en bruits et brusques retournements, il observait la scène en toute sérénité. A mesure que les choses entraient en lui, c'était comme une brise qui le gonflait de l'intérieur, l'ourlait de plénitude. Cela s'irisait contre son épiderme, cela faisait ses bouquets de lumière, ses gerbes de phosphènes, ses étirements de comète et, alors, il se nourrissait à seulement regarder, à seulement emplir ses pores du pollen du monde. Rien ne lui était étranger de ce qui le visitait avec la faveur d'un don de la nature.

En son sein, il archivait tout ce qui lui paraissait bon, digne de recevoir attention et disponibilité : les rires des enfants ricochant sur le blanc des falaises, le vol souple du goéland aux plumes gonflées, les battements liquides de la mer, les corolles des jupes qui flottaient aux terrasses, les boules violettes des oursins qui nageaient à mi eau, les coques bleues des bateaux confondues avec les voix maritimes des pêcheurs. Dans son baluchon, il déposait des copeaux de certitudes, des éclisses d'amitié, des plumes de générosité. Ô ceci ne pesait pas bien lourd, pas plus que la boule de duvet du colibri, pas plus que sa vibration colorée sur l'arcature du jour. Une à peine parution de l'être en sa subtile demeure. C'était cela qu'aimait Octave du fond de sa simplicité originelle. Car, oublieux de lui, de cette naturelle donation de céramique dans la pliure des heures, il savait qu'il ne devait retenir que cela qui faisait sens, à savoir cette arche multiple déployant son ombilic sur la cécité des choses. Il y avait infiniment à voir, infiniment à comprendre, infiniment à emporter avec soi, dans le secret refermé d'un sac que l'épaule ne tutoyait qu'à l'aune d'une juste saisie d'une si belle temporalité. Tout le destin du monde rassemblé dans le recueil du simple. Toute la beauté parlant dans le fragment enfin porté à son incandescence. C'était cela, exister, Homme ou bien Femme ou encore Petit Vernissé, nous disant en termes d'argile et de glaçure le langage infini qui parcourt les chemins de la demeure anthropologique. Exister est une turgescence ou bien n'est pas. Exister est prose fécondée en poème. Exister est disposer de soi dans l'exactitude afin que l'autre, le différent, le toujours accessible s'adresse à nous avec la majesté du signifié.

C'est cela dont Le Petit Terrien était porteur, qu'il nous disait en termes de couleur et de forme, en pâte d'évidence, en cuisson parvenue à son acmé. Toute œuvre suppose ce registre fondateur d'une création, laquelle partant de la matière somme toute banale, familière, s'exhausse jusqu'à un point de phosphorescence. Jamais matière n'est obtuse, fermée, repliée sur un quelconque mutisme. C'est à nous, humains de savoir tirer une leçon dont tout humus - la même racine "qu'humain" -, est le germe initial qui toujours parle en mode crypté alors même que nous sommes les seuls à en posséder les clés. Les choses ne demeurent hiéroglyphes qu'à la hauteur de notre distraction. Merci infiniment à ce Petit Vernissé, de nous avoir disposés, l'espace d'un instant, à l'éclaircie de la clairière. Il y a tant de sombres forêts qui la cernent de toutes parts ! Nous savons maintenant, longeant le lac, apercevant son eau claire, marchant sur la pente escarpée de la colline où roulent les boules de glaise, nous savons qu'il y a pour elles, ces boules, possibilité de chute, cuisson grâce aux rayons du soleil, feux des chemineaux qui terminent la tâche afin que l'œuvre surgisse et conquière le monde dans son incroyable foisonnement. Petit Vernissé, nous t'aimons comme tu aimes ceux qui te regardent et de donnent vie. Incline-nous encore au rêve. Nous ne vivons que de cet espoir-là !

Partager cet article
Repost0
28 juin 2021 1 28 /06 /juin /2021 17:27
Temps de beauté.

Œuvre : Sophie Rousseau

Aquarelle et encre

*

   En ce temps-là la beauté était partout. De terre, de ciel, d’eau, de nuage. Il suffisait de vivre, de respirer, de toucher et l’on était libre de soi, tout contre les choses, dans leur pulpe intime, au bord de l’horizon où s’ouvre l’écume des grands oiseaux blancs. On était soi dans la multiplicité du monde, naturellement, comme le vent traverse le ciel, comme l’eau s’écoule de la source et rejoint la mer par le glacis des rivières. Continuellement, les cannelures du ciel déversaient leurs aiguilles de cristal, les arbres dressaient dans le bleu leurs flammes ardentes, les montagnes élevaient leurs cônes et leurs pics dans la forme de la puissance, de la majesté. Tout était encore disponible et les yeux des hommes, soudés au ventre de la terre, dormaient dans une même cécité. Le monde était une simple connaissance de soi, de l’intérieur, de l’ombilic même où se trouvait l’origine. Pour atteindre cela qui se dressait devant elles, les consciences n’avaient qu’à s’ériger en pensée et demeurer dans l’enceinte brillante de leur propre révélation. On n’avait pas besoin de beaucoup de corps, pas besoin de beaucoup de chair. Seulement une excroissance de peau en direction de l’arbre, de la feuille, du rocher, des piquants d’oursins des étoiles, des bogues trouées des éponges. Un effleurement, un exhaussement de la périphérie de l’œil, la levée d’un doigt dans la brume floconneuse, l’empreinte légère d’un pied sur la théorie jaune du sable.

   Voici, en ce temps-là, ce que l’on faisait dans la plus grande nudité de soi qui se pût concevoir. A peine une esquisse à contre-jour de l’ombre, le glissement de sa propre silhouette entre deux feuilles d’air, la progression d’un enfant sur des calots de verre. Nul besoin de dire les choses dans une manière d’imprécation, nul besoin de crier aux meutes adjacentes la beauté de la parution, nul besoin de dresser l’oriflamme de la gloire sur la bannière du ciel. Se laisser aller comme le grésil dans le ciel de décembre et voltiger à l’infini du temps avec la grâce de la goutte à la pointe de l’herbe. Alors tout venait avec facilité, tout s’illustrait dans la transparence, tout rayonnait du cœur de sa propre signification. On était là, dans le premier tremblement du paysage, avant que ne se déchaîne la lumière, avant que les bruits ne percutent les tympans de leurs gongs apatrides, que les mouvements ne s’agitent en tous sens. C’était l’heure magique avant l’heure, c’était le temps merveilleux avant le temps. L’immémorial balancement du nycthémère s’était figé et plus rien n’oscillait que le cœur des hommes. Alors les yeux s’ouvrent, les mains se tendent, les jarrets se plient à la cadence de la marche, la peau se met à rutiler comme les masques des Incas dans la nuit des pyramides.

Temps de beauté.

   Là, devant soi, à portée de regard, émergeant tout juste de l’ombre, la première bande de couleur, virant au bleu outremer, à la densité nocturne, à la compacité d’une faille d’obsidienne dans la touffeur de la terre. Là, les premiers arbres, les premiers pins maritimes, ces sortes de géants qui cernent la dune de leurs cargaisons de poutres brunes, ces débonnaires vagabonds qui ont fixé leur nomadisme au bas de la montagne de sable, comme pour l’endiguer, arrêter ses vagues de silice, enserrer dans le réseau dense des racines la fuite vers les landes de bruyère et les lames dentelées des fougères. Ils bougent à peine dans la lumière juste levée et le ciel gris semble avoir posé son ventre sur les bouquets d’aiguilles pareils à des pinceaux célestes. Tout est tellement étal dans la quiétude, ici, dans ces contreforts de poussière brune et l’on croirait avoir affaire à l’éternité avec les étoiles des secondes prises dans la glu immobile du temps. Et plus rien ne compte que cette disposition à soi des choses, et plus rien ne compte que son propre événement d’être. On est inclus dans tout ce qui pourrait advenir comme simple révélation. Le monde, on ne le sent plus étranger, loin de soi, mais en soi et l’on est ce fragment immensément mobile, cet à peine microcosme voulant chanter le concert de la nature, faire sa voix menue, se glisser dans tous les interstices du savoir, les galeries du connaître. Son corps de chair et de peau, on le sent étrécir, devenir lettre de l’alphabet dans le grand lexique universel. Comme un fourmillement des cellules, une agitation moléculaire, une infinie translation de quarks au fin fond de l’idée de soi. Mais nul étonnement à cela, nulle frayeur qui pourrait s’attacher à la crainte de quelque dissolution, au surgissement du pur néant. Bien au contraire, l’entrée dans le royaume de la matière, de l’incessante révolution des sphères anonymes qui nous habitent de leur silencieuse rumeur se fait dans l’évidence. C’est tout juste s’il s’agit d’un tressaillement, d’un clignement de cils et voilà que survient le prodige.

   Soudain, on se sent dans la tunique noire, dans l’architecture de cuir étroit, lisse, brillant comme mille étoiles. En arrière, on sent le renflement ovale de son abdomen, puis la scissure centrale comme un isthme, puis les tiges des six pattes pareilles à de minces sarments, mais c’est surtout le périscope de la tête et son travail d’éclaireur de pointe qui nous fascine. C’est partout un essai de se saisir du mystère, d’en apprendre un peu plus sur ce que nous sommes, sur ce qu’est l’autre - cette brindille, cet éclat de lumière, cette gemme dans le ventre de la terre -, l’autre par qui nous existons mais dont l’inquiétude nous environne de son continuel bourdonnement. Les ocelles s’animent, les scapes dressent leurs tiges aiguës, les funicules balaient la moindre poussière présente dans l’immense nacelle de sable, cette dune métaphore d’une connaissance plurielle, infinie, insaisissable. Les mandibules tremblent, fouissent dans toutes les directions, prélèvent un fragment de limbe ici, une nervure de feuille là, une larme de résine ailleurs. L’agitation est grande parmi le peuple des fourmis. Ouvrière parmi les ouvrières, nous progressons dans le ventre illuminé de la fourmilière. La lumière coule partout comme un miel, comme un nectar sublime, comme un soleil pulvérulent. Nous la sentons faire ses mille irisations dans la boîte lustrée de notre corps et jusqu’au sommet de nos antennes, cette projection de notre conscience vers le haut des choses, autrement dit le sublime. Car, devenus modestes fourmis, insectes au devenir étroit, nous n’en sommes pas moins des questionnements de l’espace, du temps, de la présence partout répandue. Nos trajets syncopés, notre affairement à nul autre pareil, notre hystérie nomade n’ont d’autre explication que celle-ci : savoir qui nous sommes dans la grande dérive mondaine. Alors nous n’avons de cesse de nous saisir de la moindre information, du plus petit indice et de l’enfouir dans le secret du grenier à grains afin, qu’un jour, il consentît à nous délivrer de cette sourde ignorance qui nous pousse toujours plus loin, aux limites de nos propres frontières. Cette sortie de soi en direction du monde, les hommes l’appellent « transcendance », mais nul ne sait quelle est sa finalité, de quelle matière elle est tissée, ce que son contenu nous apprendrait sur nous-mêmes, sur l’origine des formes. Du plus loin de l’horizon cela appelle, cela fait sa rumeur de brume, cela émet son envoûtante sonatine, cela fait ricocher les trilles cristallines jusqu’en notre désir de nous expatrier de nos limites. Nous en avons assez d’être confinés dans les meurtrières d’un questionnement identique à un « éternel retour du même », genre de rengaine monochrome se diluant dans l’aube des envies indigentes. Alors, parfois, nous désespérons, nous nous précipitons dans une chambre à la porte étroite, nous y lisons quelque poème bucolique, nous nous essayons à déchiffrer les hiéroglyphes métaphysiques, les théories abstraites de la philosophie, les arcanes de l’art. Nous regardons « Le cri » d’Edward Munch et le cri nous possède de l’intérieur, lance ses assauts contre la cellule de peau, se rebelle, veut sortir, veut essaimer, par le monde, son vent d’effroi. C’est si éprouvant de penser et de faire l’expérience du vide.

   Alors nous commettons nos mandibules à l’exercice de la cueillette, tout comme le faisaient nos ancêtres, ces chasseurs-cueilleurs de la préhistoire se confondant avec le mouvement même qui les amenait au-devant d’eux, dans un savoir de pierre et d’abri pariétal, à l’ombre des frayeurs natives, sous l’aile qui moissonnait le ciel de ses incompréhensibles gerbes de feu. Oui, l’inconnaissance, peu à peu, a déplié ses membranes. Oui, la métamorphose a commencé à se produire qui nous conduit en direction de l’imago. Mais le lieu est encore loin, mais l’errance est encore grande qui nous conduira au seuil de nous-mêmes dans cette géographie d’une possible compréhension. Beaucoup reste à déchiffrer, à l’aune de notre raison raisonnante, à la lumière de notre néocortex, mais aussi à l’ombre immémoriale de notre système limbique, de notre anatomie reptilienne. Certes nous nous sommes redressés au-dessus des herbes jaunes de la savane, certes nos bourrelets sus-orbitaux se sont effacés faisant briller sur la cimaise de nos fronts les lueurs de l’intelligence, l’architecture droite de la volonté, les diagonales du projet en direction de cet avenir qui nous enjoint de témoigner tant qu’il est temps. Mais, malgré notre accession aux mœurs policées, aux bonnes manières, aux considérations éthiques, il nous manque encore de pouvoir dresser dans l’éther les menhirs de l’essence humaine, à savoir la certitude d’être dans une vérité et d’y demeurer. Alors nous n’avons de cesse de poursuivre notre marche en avant, d’enfouir nos trésors - nous ne les comprenons pas encore -, dans les mystérieux coffres-forts de la salle d’hibernation, d’apporter de la nourriture aux larves et aux nymphes sans bien savoir quel étonnant métabolisme résultera de cet obsessionnel nourrissage, de parvenir, enfin dans l’enceinte de la chambre royale, à cet endroit de la dune où ne tarderont guère à éclore les grappes d’œufs de la future génération, celle qui, nous succédant, poursuivra l’inlassable tâche de tenter de comprendre l’univers, son fonctionnement, de percer un peu de la passion des hommes, de leur folie, de leur génie aussi qui est immense mais demeure crypté aux yeux des mortels comme demeure secrète la présence au monde de ce qui est.

   Maintenant, il est temps d’abandonner cette tunique, qu’un instant nous avions revêtue, comme on le ferait d’un véhicule nous transportant hors de nous-mêmes dans la contrée des évidences absolues. Même la laborieuse fourmi est impuissante à nous procurer cet éblouissement de la conscience par lequel rejoindre le domaine du dévoilement ontologique. Il nous est enjoint de demeurer hommes dans le corridor étroit d’une chair oublieuse d’elle-même, de l’autre, du monde. Marcher comme le pèlerin, en direction d’une foi, donc d’un inconnaissable, plutôt qu’en direction des certitudes de pierre d’un quelconque sanctuaire. La vérité et le savoir que nous avons d’elles, les certitudes, sont intimement coalescents à ce que nous sommes, enracinés dans le profond de nos cellules, inscrits dans la rivière de notre sang, gravés dans le massif de nos chairs, tatoués en lettres de feu sur la zone libre de notre épiderme. Seulement, avec ceci, ce savoir des choses, nous sommes sans distance puisqu’il s’agit de nous. Mais nous le savons d’une manière intuitive et nous feignons d’ignorer ce qui s’éclaire de l’intérieur, comme s’éclaire le ventre de la dune afin que nous prenions acte de son mystère, de son infinie richesse, de l’arche infiniment brillante de sa polysémie. Partout sont les choses qui parlent, partout sont les yeux qui regardent, partout sont les ocelles des arbres qui nous interrogent et que nous interrogeons à notre insu. Partout sont les montagnes, les dunes à la croupe infinie portant jusqu’au ciel le miracle de leur présence. Et chaque grain de sable est un minuscule fragment du savoir. Une étonnante réverbération de l’être qui nous habite et s’impatiente de se révéler à lui-même dans la plénitude.

   Maintenant la lumière est haute dans le ciel et on sort à peine du ventre maternel, du grand dôme de sable qui, un instant, nous abreuva de sa douce ambroisie. La dune, sous les pieds, est cette vague jaune orangé qui fait glisser à l’infini son échine de squale marin. Des vergetures la parcourent de leur simple insistance, de menues falaises s’en détachent, venues dire aux hommes la juste mesure de l’exister parmi les choses. Nous sommes si inapparents dans la grande course universelle, le glissement des astres sur la courbe du ciel. Parfois de grands oiseaux blancs nous frôlent de leurs drôles d’ailes tellement semblables à de la neige. Longtemps après qu’ils sont partis, on entend le vent s’engouffrer dans leur voilure, claquer comme des haubans dans la tempête. Alors l’espace se déploie aux quatre coins de l’horizon, gonfle comme une baudruche, joue avec les nuages et avec l’absolu comme il le ferait d’une simple balle lancée en direction des étoiles. Là, sur l’épaule de soie, face au réel pris de démesure, nous rêvons longuement et il s’en faudrait de peu que nous ne nous évanouissions dans quelque trou de silence. Mais nous résistons, mais nous voulons voir le prodige d’exister et nos pupilles se creusent, font de profonds puits et la mydriase nous atteint de plein fouet jusqu’aux derniers remous de l’inconscient, faisant naître avec elle les étincelles de la lucidité. Alors cela devient presque insoutenable de faire face à tant de beauté, à tant de liberté faisant claquer sa bannière d’or au-dessus, bien au-dessus des termitières où habitent les vivants. Puis, à mi-chemin de l’ocre uni de la colline, c’est une autre écharpe sombre qui flotte dans le vent venu de la mer, l’écharpe des pins décharnés qui luttent pour se maintenir, toutes racines dehors, qui tentent de s’agripper au moindre monticule et, parfois, on a l’impression qu’il s’agit de palétuviers juchés sur leur rythme polypode, la herse pathétique de leur prétention à être. La brise venue du large passe et repasse dans la chevelure hirsute des arbres, les dresse en épouvantails contre la toile du sable s’écoulant en ruisseaux gris jusqu’au rivage perdu dans le doute et la brume. Tout en haut de la minuscule canopée, du fleuve végétal presque parvenu à son étiage, on entend le crépitement des minuscules grains de roche, comme un lent émiettement du temps, une réduction de l’air aux dimensions d’une respiration étroite. En eux, dans leur modestie de roche usée jusqu’à la limite de la disparition, est contenue une manière d’alternance à dire la vie, à dire la mort. Mais de ceci, cette possible tragédie, l’on n’est nullement atteint. Ici, aux limites du monde, tout devient possible, y compris l’éternité. C’est le destin de tout paysage qui nous toise du haut de sa puissance - plateaux andins, sommets himalayens, vastes canyons, plaines immenses des lagunes, calderas volcaniques -, que de nous porter bien au-delà de nous dans le vaste et étonnant domaine de l’indicible. Seule la mutité est la réponse adéquate, l’immobilité la syntaxe rendant compte de l’événement.

   Puis nous abandonnons la meute végétale, ses derniers bouquets dressés contre le vent. L’air est vif, tranchant comme la lame et fait ciller les yeux, venir les larmes qui brouillent la vue, dispersent la conscience en milliers d’éclats pareils à du verre pilé. L’océan est là avec ses immenses battements qui, continûment, cognent le socle de la terre et cela fait un grondement continu, un chapelet de déflagrations qui parcourent le lacis des branches, les moignons des souches, les écailles des pommes de pin. Les lézards à la gorge verte et bleue se dressent sur l’épine de leurs queues et leurs goitres boivent les sons, l’écume marine comme ils le feraient, gobant des nuées d’insectes. Pas très loin dans les creux des marais, sur des pierres plates et moussues, les tortues cistudes ressentent cette vibration dans leurs corps gélatineux et elles durcissent leurs carapaces, terres craquelées par le temps, et elles dressent leurs têtes de reptiles inquiets et elles dardent vers l’arrière l’écharde pointue de leur queue. Car nul ici, personnes, animaux, choses, ne peut se dérober au constant tellurisme de la dune à son érosion, à sa lutte avec l’eau, l’air, la violence des éléments. Au fond des abysses, dans l’œil glauque des lamproies, dans la métaphore grise de la lourde inconscience, c’est la même chape qui fait s’agiter les eaux à la densité de plomb. Comme une connaissance du monde qui jouerait sa partition élémentaire, eau, air, feu, terre sans que rien n’en décèle le lourd dessein. Voilà, peut-être, où se jouait l’histoire secrète des hommes, dans cette infinie dialectique des choses originelles dont, jamais, ils ne pourraient percer la bogue immémoriale, comme si, de toute éternité, le savoir devait se heurter au monticule de la dune, à la flaque sombre de l’océan, aux mystérieux emmêlements sylvestres, aux caravanes des nuages, afin que de cette soif jamais étanchée naisse, toujours, le chemin vers plus loin que soi et la volonté d’y inscrire sa présence. Peut-être n’y avait-il rien d’autre à comprendre que cela. Peut-être ! Alors, nous regardons les œuvres, alors nous regardons les taches de couleur, les chutes d’encre, les étoilements de gouttes, les fleuves du sens faire leurs étincelants parcours. Et nous rêvons longuement. Longuement nous rêvons !

Partager cet article
Repost0
28 juin 2021 1 28 /06 /juin /2021 17:21
Loin, à l’horizon du monde.

Œuvre : Isabelle Mignot.

« Sous les notes qui affluent

Sur le sable que j’effleure

Un seul désir affleure encore

… Toi.

Isabelle Mignot (2015)

*

   C’était comme d’être au fond d’un puits avec, tout en haut, le cercle de la margelle et la lumière de l’air. Ici, tout en bas, les notes étaient blanches et noires avec, parfois, la cendre pareille à un galet. Loin, en arrière, dans les vapeurs du temps, l’eau sourdait avec son glissement de feutre. C’était à peine un murmure, une parole qui n’osait dire son nom. Il y avait danger à ébruiter ce qui, jamais, ne devait se dire qu’à l’aune d’un secret. La mémoire était là, étale, eau d’un lac agitée de moirures illisibles. Comment pouvait-on demeurer en soi dans cet éternel présent qui, sans cesse, se décolorait, retournait à l’invisible néant ? Mais avait-on jamais existé ? Mais avait-on seulement connu quelque chose qui nous accomplît en nous-mêmes au point d’en porter, à jamais, la braise vive, pareille au feu de la passion ? Mais l’amour nous avait-il visité, posant en nous l’irrépressible envie de le connaître à nouveau, de l’installer au centre de notre être, invisible foyer irradiant de la puissance d’un indicible ? Mais étions-nous au moins au monde, racine puisant dans le sol intime les nutriments de son propre métabolisme ? N’étions-nous pas, seulement, une image flottant dans l’espace, la simple fantaisie d’un rêve d’enfant, la pliure amoureuse d’une mère nous révélant avant même de nous avoir conçu ?

   Oui, c’était une vive blessure que de se sentir dans une irrémédiable sustentation, ni en haut dans la fleur dilatée du sentiment, ni en bas dans l’abandon de soi à la gangue primitive. Vertige, flottement, dérive, tels étaient les prédicats qui nous rattachaient au monde avec la discrétion d’un fil d’Ariane. Là, dans la bouche du puits cernée d’ombres profondes était l’immense glaciation de l’âme, la dissolution de l’esprit. Les idées se mouvaient avec des lenteurs de luciole, les pensées se refermaient dans la densité d’une chrysalide à la consistance d’étoupe. C’était un tel effort que de se porter au-devant de soi afin que, vigie à son poste à la proue de la barque, quelque chose consentît à briller de l’ordre d’une présence, se mît à parler dans le cercle rassurant d’une possible raison. Il fallait demeurer et rester coi dans la démesure d’un temps immobile. Pareil à la momie ourlée de ses bandelettes aveugles.

   Mais, soudain, quoi ? Quelle clameur ? Quel feu d’artifice s’allume à la gueule immensément ouverte du puits ? Quelle longue profération nous hissant hors du périmètre d’effroi, nous installant dans l’arc incandescent de la lumière ? Voici ce que je vois, qui illumine ma conscience. Sur l’étrave de mon chiasma, dans l’antre où se croisent les images, voici que jaillit la pure révélation du monde, le poème invisible, l’art en ses manifestations transcendantes. Ô combien la joie est plus douloureuse que la peine. Ô combien la beauté serre la gorge, opprime la poitrine, cercle le bassin dans une ganse de métal ! Il est si douloureux d’apercevoir le rivage et de ressentir l’angoisse du naufragé ! Mais comment atteindre l’autre partie de soi, comment parvenir de l’autre côté du monde, sur l’horizon où brille la présence de l’illimité, l’arche ouverte de l’infini ? Comment ?

   Mais voici que je frotte mes yeux, mais voici que mes paupières se déplissent, mais voici que la vue s’éclaire et qu’apparaissent les images, les merveilles qui nous font tenir debout dans la pure verticalité de notre être. Il y a une plage longue, infiniment étalée sous la caresse du vent. Il y a des pins maritimes que le flux traverse. Il y a des monticules de sable plantés des touffes illisibles des oyats, ces présences si menues qu’elles donnent à la dune la consistance de cheveux flottant entre deux eaux. C’est si reposant, soudain, d’être accueilli, ici, dans l’ouverture du sens, dans la multiplication d’une parole libre. Tout se lève et signifie. Tout ondule jusqu’à la limite extrême de la vision, comme si un mirage habitait l’espace courbe, le fécondant de sa mystérieuse palme.

   Un chant est né du sable, des signes s’y inscrivent, des rumeurs le tissent de l’intérieur. Ce que je vois, ces taches pareilles à l’écoulement de la résine sur l’écaille des grumes, ces surfaces grises si semblables à la couleur de la mélancolie, ces formes si sensuelles qu’elles évoquent le col du cygne en direction de Léda, ces volutes s’échappant, tels des vols de sternes du massif gris des songes, ces baïnes où flottent les eaux du désir, ces graffitis détourant l’amplitude du bassin, enfin tout ce qui ici prend figure, c’est non seulement TOI, mais le visage infiniment ouvert de l’amour, l’épiphanie de ce que tu as à dire en tant qu’existante alors que j’arrive seulement à moi dans la démesure du jour. Demeure donc là, à la pointe du toucher, encore si peu réelle que tu es pareille au nuage que le ciel effleure, que la terre berce de son chant de glaise. Demeure, ainsi nous serons toi et moi jusqu’en notre extrême. Demeure ! Nous serons.

Partager cet article
Repost0
Published by Blanc Seing - dans Microcosmos
28 juin 2021 1 28 /06 /juin /2021 17:09
Nèj en sa clairière

   Au début, il n'y avait rien qu'une clairière de silence, des arbres autour, étonnés d'eux-mêmes. Parfois le gazouillis léger de quelque oiseau et, au loin, comme venu de la bouche de l'horizon, le long hululement d'une dame-blanche. La lune était absente, les étoiles noyées dans une nuit d'encre. C'était comme si, soudain, la terre avait été désertée, les hommes pliés dans leurs rêves d'étoupe. Il n'y avait que cela, cette longue vacuité qui paraissait ne devoir jamais finir.

  Puis quelque chose avait vibré, tout en haut de l'éther, et l'on avait eu le pressentiment qu'allait s'ouvrir une faille nocturne par où une parole pourrait advenir. D'abord ç'avait été un bruissement très doux, un genre de chute éternelle, une translation de l'air, un glissement. La toile du ciel s'était rayée de zébrures grises, des comètes blanches pleuvaient parmi les cercles des branches, une écume faisait sa lente effeuillaison, l'ivoire isolait tout dans un même glacis. Alentour, plus rien ne vivait, ne respirait, seulement ce souffle de neige, seulement cette caresse longue à mourir. Jamais, sur la terre, il n'y avait eu de voix si féconde, de douce mélodie pareillement accordée au rythme des choses.

  Cependant la nuit basculait, imperceptible giration que même les rapaces nocturnes n'auraient pu saisir dans leurs serres d'effroi. On savait alors l'heure imminente d'un surgissement, la seconde où tout se diluerait dans la naissance du jour. On savait la perte du sommeil réparateur, on savait la douleur de l'aube, le consentement du monde à nous accueillir pour une aventure encore innommée. Tout cela on en était conscient et c'est dans une même tension qu'on arc-boutait son corps afin de résister à ce qui, bientôt, brillerait de l'éclat trop vif des certitudes.  La nuit, cette conque, il fallait lui accorder une faveur, la faire se replier dans l'ornière du monde, là, dans cette trouée où, on en était avertis, quelque chose allait naître.

  Soudain, il y avait eu une contraction du temps, une dilatation de l'espace, comme un chant venu du sol, une manière de liane musicale s'enroulant sur elle-même, naissant   de sa propre efflorescence, faisant ses volutes parmi la multitude muette. Car chacun avait été privé de voix, chacun avait regagné l'antre de son corps afin de se mieux disposer à l'événement qui, hors de soi, mais à portée du regard, se dépliait alors que les grains nocturnes vibraient d'une étrange lumière. L'attente longue, le frémissement de l'air, la mutité du lieu, tout était maintenant habité de l'intérieur, fécondé comme pour un rituel, une cérémonie secrète. On n'en croyait ni ses yeux, ni ses oreilles, pas plus que la granulation de la peau envahie d'un scintillement étoilé.

  Nèj était là, en sa clairière, à peine issue du noir qui ceignait encore ses jambes, longs bras marmoréens protégeant l'ombilic prolifique, soutenant la gorge neigeuse alors que le visage se recueillait sous la voûte des cheveux d'ébène et que le diamant suspendu à l'oreille venait dire la rareté de l'instant à venir. Là était le Poème que les hommes attendaient depuis la nuit des temps, dont ils écoutaient l'incantation avant que tout ne s'abolisse dans une trop vive clarté. Là était l'ouverture avant la perte. Pour cela les yeux étaient atteints de dilatation, les mains tremblaient, les membres étaient gourds comme si, dans une manière d'hébétude, on cesserait de vivre dès la sublime apparition ou bien on suffoquerait à ne plus en apercevoir l'irréelle silhouette.  Déjà on était loin de soi, dans une improbable quête. Peut-être avions nous rêvé ? Peut-être Nèj n'avait-elle été qu'une illusion ? Tout est si incertain parmi les tourbillons blancs qui recouvrent le sol. Tout est si voilé au regard dans l'irrésolution de ce qui nous fait face. Tout est si fugitif lorsque le langage fait ses circonvolutions alors que nous ne sommes même pas assurés d'exister dès que nous nous risquons à sortir de ses frontières !

 

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : ÉCRITURE & Cie
  • : Littérature - Philosophie - Art - Photographie - Nouvelles - Essais
  • Contact

Rechercher